Par Samia HARRAR
Et puis un jour la montagne trembla et les avala. Pas la montagne mais la béance qui s’était ouverte en-dessous. Le poids de leurs fautes était trop lourd et la terre n’en pouvait plus de les supporter et s’insurgea comme doivent s’insurger tous les peuples libres. Ils avaient mis du pavot dans leur tisane et même si c’était passé de mode, ils y avaient trouvé un confort certain alors ils avaient persévéré. Pas seulement dans le déni mais dans l’acceptation de ce qu’ils savaient être, dans le fond, la plus sûre manière de déclencher le chaos. En voulant, à tout prix, l’éviter. Paraît-il.
Ils n’étaient plus les maîtres de leur destin qu’ils pensaient contrôler, avec la minutie d’une horloge suisse. Sauf que la partition, depuis le début, avait été tronquée et sa petite musique lançait, par intermittence; des petits cris lancinants, qu’à force, ils ne pouvaient plus entendre. Le pavot avait fait son effet. Ou la tisane. Ou les deux à la fois.
Un jour l’apocalypse. Le déluge était aussi passé de mode, alors il fallait inventer d’autres moyens de se tirer dix-mille balles dans le pied afin de précipiter quelque chose. Un moyen plus raffiné; une trajectoire plus déterminée et un chemin de détour pour en finir plus vite et faire exploser le ventre de la terre. Il est facile d’imaginer que la transcendance consiste surtout à se voir, à se croire, à se rêver, à s’imaginer, et puis s’en persuader intimement, que lorsque la terre tremblera, au cœur du chaos, il y aura une petite halte au soleil pour ceux qui ont trop pris l’habitude, en récrivant le récit des origines, de s’inventer une autre descendance, et la meilleure façon de s’en tirer toujours à très bon compte en invoquant l’insoutenable apesanteur des choses, qu’ils soutenaient très bien du reste, tant qu’ils étaient assurés de rester douillettement sur le nuage de leurs plus confortables certitudes. Et n’allez pas accuser le pavot.
On peut être élu et déchoir. Comme le peuple « élu ». Plus on est des fous, plus on s’amuse. Sur un vaste charnier où chaque assassin, et celui qui le regarde faire sans bouger le petit doigt, aura, en réalité, creusé son propre tombeau. Ce n’est pas très gai. Buvez de la tisane au « pavot ». Tout de même; une balle perdue dans la Knesset, c’est une balle perdue.
