La santé mentale reste un problème passé sous silence dans nos établissements éducatifs, malgré ses impacts négatifs indéniables sur la réussite scolaire et le bien-être général des élèves. Les estimations du Centre tunisien pour la défense des droits de l’enfant suggèrent que 15 à 20% des enfants en âge scolaire sont aux prises avec des troubles psychologiques et mentaux.
L’anxiété, la dépression, les troubles de l’attention et du comportement figurent parmi les troubles les plus répandus dans nos écoles, d’après la même source.
Les racines du mal sont multiples, et vont du stress académique à l’exposition accrue aux contenus numériques, en passant par les changements familiaux (divorce, décès de l’un des parents, disputes, etc.), les programmes surchargés et les difficultés économiques.
Abandonnés à leur propre sort et ne bénéficiant d’aucun accompagnement psychologique à cause du manque des ressources humaines et financières au niveau des établissements scolaires, de la méconnaissance des symptômes par le corps enseignant, ou encore par crainte de la stigmatisation, des centaines de milliers perdent tout intérêt pour les études. D’autant plus que les troubles mentaux perturbent souvent la concentration, la mémorisation et la gestion efficace du temps en classe et au foyer. Ce n’est pas d’ailleurs un hasard qu’environ 100 000 élèves quittent prématurément les bancs de l’école chaque année, sans diplôme ni qualification. Selon des données publiées par l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ), l’abandon scolaire a évolué considérablement depuis les années 1980, passant d’environ 26 000 cas par an durant l’année scolaire 1984/1985 à 57 613 cas au cours de l’année scolaire 1994/1995, avant d’atteindre un pic de 100 000 cas par an durant l’année scolaire 2012-2013. Des statistiques plus récentes montrent que 91 222 élèves âgés de 6 à 16 ans ont quitté le système scolaire en 2021/2022, soit environ 4% de l’ensemble des élèves appartenant à cette catégorie d’âge.
Comportements à risque
D’autres élèves en détresse adoptent des comportements perturbateurs ou auto-destructeurs comme la violence, l’extrémisme religieux, l’émigration clandestine, le tabagisme, la consommation de stupéfiants et, dans les cas les plus graves, le suicide. Un rapport du ministère de la Santé publié en 2023 a fait état de plus de 150 cas de suicide enregistrés au sein des lycées secondaires entre 2018 et 2022. Ces suicides sont essentiellement attribués au «harcèlement scolaire» et à la «pression psychologique».
Face à la prévalence élevée des troubles mentaux en milieu scolaire et de leurs conséquences dévastatrices sur le développement personnel des enfants et de la société en général, un groupe de députés a élaboré une proposition relative au droit à la santé mentale scolaire. Ce texte a été au centre d’une séance d’audition tenue mardi au sein de la commission de l’éducation, de la formation professionnelle, de la recherche scientifique, de la jeunesse et des sports rattachée à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il prévoit notamment la mise en place d’une unité dédiée à la santé mentale ou, du moins, la mobilisation d’un spécialiste dans chaque établissement scolaire pour prendre en charge les élèves et les étudiants. Ces unités d’appui à la santé mentale, qui seront financées par l’Etat, auront pour mission de procéder à des évaluations périodiques du bien-être des apprenants pour reconnaître les premiers signes de détresse et apporter rapidement du soutien. Elles seront aussi chargées de fournir un soutien psychologique collectif et individuel aux enfants en situation de détresse psychologique dans le respect total du secret professionnel, et d’élaborer des programmes de sensibilisation dédiés aux problèmes de santé mentale. Ces programmes comprennent, entre autres, l’organisation de séances d’information, d’ateliers interactifs ou des ressources pédagogiques spécifiques pour sensibiliser les élèves, les enseignants et le personnel éducatif.
En cas de besoin, les unités de santé mentale peuvent coopérer avec les parents dans le suivi de la situation mentale des enfants, voire l’orientation de certains cas vers les établissements sanitaires spécialisés.
Cette approche globale devrait non seulement permettre d’améliorer les performances académiques des élèves en proie à des troubles mentaux, mais aussi les préparer à s’intégrer efficacement dans le tissu social et à réussir dans leur vie future.
Walid KHEFIFI