Par Mondher AFI
La rencontre du 8 novembre 2025 entre le Président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, et l’ingénieur en pétrochimie Ali Ben Hammoud, diplômé de l’Université de Shanghai, dépasse de loin le cadre protocolaire d’une audience présidentielle. Elle révèle la cohérence profonde d’une vision politique fondée sur le primat de l’éthique nationale et sur la valorisation de la compétence citoyenne.
Dans un pays souvent fragilisé par la fragmentation institutionnelle et la perte de confiance entre l’État et la société, le Président Saïed réintroduit la notion de service national comme vecteur de dignité collective. En saluant le geste désintéressé d’un ingénieur tunisien revenu servir sa région de Gabès, il redonne sens à la responsabilité civique, celle de mettre le savoir et la compétence au service du bien commun. Cette conception du service national n’est pas idéologique, mais ontologique : elle inscrit l’action politique dans la fidélité à la nation comme communauté de destin et d’effort.
Dans la pensée et la pratique du Président Kaïs Saïed, la dignité et le travail forment un couple indissociable, une dialectique fondatrice du contrat social moderne. La dignité n’est pas, pour lui, un concept abstrait ni une valeur proclamée à des fins morales : elle est une dynamique concrète, incarnée par l’effort, la contribution et la création. En cela, l’exemple de l’ingénieur Ali Ben Hammoud n’est pas anecdotique, mais paradigmatique : il illustre la figure du citoyen producteur, celui qui, par son savoir et sa conscience civique, répare le lien rompu entre l’État et la société.
Kaïs Saïed refuse le modèle d’un citoyen passif, spectateur d’un État défaillant. Il valorise, au contraire, l’homme et la femme capables de s’inscrire dans une logique de construction, d’autonomie et de responsabilité.
À ses yeux, la véritable souveraineté d’un peuple réside dans la capacité de chacun à agir pour le bien commun sans attendre la reconnaissance ou la médiatisation. Dans un contexte où la politique a souvent été réduite à la rhétorique et à la posture, cette valorisation de l’action discrète, du travail collectif et de l’engagement désintéressé traduit une rupture épistémologique dans la conception même du pouvoir.
L’éthique du mérite face à la culture de la dépendance et du favoritisme
Le Président oppose ainsi deux rationalités sociales : celle de la prédation et de la corruption, qui dévore le capital moral et la confiance collective, et celle de la production et de la compétence, qui restaurent le sens du devoir et de la communauté. Sa pensée repose sur une anthropologie de la responsabilité : l’homme n’est pas une victime du système, mais un acteur capable de transformation. En redonnant sens à la valeur du travail et à la rigueur intellectuelle, Saïed cherche à réhabiliter l’éthique du mérite face à la culture de la dépendance et du favoritisme. Cette orientation n’est pas purement économique, elle est civilisationnelle, car elle vise à refonder la société sur la reconnaissance du savoir, de la droiture et de la contribution utile.
Cette perspective s’inscrit dans une approche sociologique du pouvoir. Là où d’autres gouvernants ont traité la corruption comme un simple dysfonctionnement administratif, Kaïs Saïed l’envisage comme une pathologie sociale, enracinée dans des décennies de délitement du sens collectif. Il identifie trois symptômes majeurs de cette maladie nationale : la résignation, la défiance et la déresponsabilisation. En réponse, il propose une thérapie par la valeur, celle du mérite, de la probité et de la responsabilité partagée. L’État, pour lui, ne doit pas seulement sanctionner les abus, mais guérir les causes profondes du mal social, c’est-à-dire la perte du sens civique et la dégradation du lien moral entre le citoyen et la communauté politique.
C’est dans ce contexte qu’il convient d’appréhender la posture analytique du Président Kaïs Saïed. Ses interventions, souvent interprétées comme rigides, relèvent en réalité d’une cohérence intellectuelle fondée sur une conception exigeante du politique : il ne cherche pas à séduire l’opinion publique, mais à susciter une prise de conscience critique face à l’histoire collective et aux responsabilités citoyennes.
Restituer à l’État sa fonction première, celle de servir la communauté
Sa démarche s’inscrit moins dans la rhétorique de l’émotion que dans une volonté de reconstruction cognitive du rapport entre l’État et la société. Cette perspective vise à transformer le citoyen de simple récepteur passif des discours institutionnels en acteur conscient du processus de refondation nationale.
Contrairement aux logiques populistes qui reposent sur la désignation d’un ennemi unique destiné à canaliser les frustrations sociales, la pensée politique de Kaïs Saïed rejette la polarisation et la simplification du réel. Elle se déploie dans une logique structurelle : il ne met pas en accusation des personnes, mais des mécanismes de reproduction des privilèges et des loyautés qui ont détourné la finalité de l’action publique. En évoquant ceux qui «prétendent réformer tout en ayant affaibli les institutions», il interroge des dynamiques systémiques, celles de l’accumulation privée au détriment du bien commun et de la domination au détriment de la justice. L’enjeu de cette approche est moins l’exclusion que la requalification morale du pouvoir politique, par la réhabilitation de l’éthique dans la décision publique et la redéfinition de la légitimité institutionnelle.
Cette purification ne doit pas être comprise comme une vengeance politique, mais comme une opération de restauration symbolique : elle vise à restituer à l’État sa fonction première, celle de servir la communauté. En cela, la démarche de Saïed s’apparente à une entreprise de refondation éthique du politique. Il ne s’agit plus d’exercer le pouvoir pour administrer, mais pour réhabiliter le sens même du vivre-ensemble. La lucidité du Président consiste à reconnaître que la corruption, avant d’être un crime financier, est une rupture du lien moral entre les citoyens et leurs institutions.
Cette lucidité n’est pas synonyme de froideur technocratique, elle s’accompagne d’un humanisme exigeant. Elle suppose de comprendre avant de juger, de reconstruire avant de condamner. Le Président conçoit la souveraineté non comme un slogan, mais comme un processus de réappropriation progressive, réappropriation des ressources naturelles, des institutions publiques, mais aussi et surtout, de la confiance collective. Cette confiance est le socle sur lequel repose toute société stable. Or, sans elle, ni réforme ni développement ne peuvent être durables.
Ainsi, la stratégie présidentielle s’inscrit dans une forme de réalisme éclairé. Kaïs Saïed comprend que la politique n’est efficace que lorsqu’elle s’appuie sur une compréhension fine des structures sociales et des comportements collectifs. Il ne cherche pas à séduire par des promesses, mais à responsabiliser par la vérité. Son ambition n’est pas de diriger un peuple passif, mais de réveiller une nation consciente de son potentiel.
Gabès : le symbole d’une Tunisie résistante et lucide
L’hommage rendu par le Président aux habitants de Gabès s’inscrit dans une perspective territoriale plus large, celle de la revalorisation des régions délaissées. En évoquant «la guerre de libération nationale sur toutes les frontières», Saïed redéfinit la lutte nationale contemporaine non plus comme une résistance armée, mais comme une reconquête civique et environnementale.
Gabès, longtemps blessée par la pollution industrielle et la marginalisation, devient le miroir d’une Tunisie qui refuse la fatalité. Le chef de l’État y voit le laboratoire d’un nouveau modèle de développement durable, fondé sur la science, la solidarité et la transparence. En confiant à Ali Ben Hammoud la mission de constituer une équipe technique pour trouver des solutions immédiates et stratégiques, le Président fait de la compétence locale un levier de souveraineté.
Cette approche incarne un tournant dans la gouvernance tunisienne : la centralité du territoire et la mobilisation des savoirs endogènes remplacent les injonctions technocratiques souvent importées. Le savoir tunisien devient un outil de libération.
De la «hogra» à la justice sociale : la bataille des valeurs
La dénonciation présidentielle du mot «hogra», ce sentiment d’humiliation ou de mépris vécu par les citoyens, revêt une portée symbolique majeure. Elle exprime le refus d’un ordre social fondé sur la hiérarchie de la considération et sur la culture de l’injustice. Pour Kaïs Saïed, la dignité n’est pas un slogan, mais un droit fondamental qui s’exprime dans la reconnaissance et l’équité.
Le Président lie ici sociologie et morale publique : le mépris social, écrit-il implicitement, est le ferment du désordre politique. Là où certains cultivent l’arrogance, il prône la réconciliation ; là où d’autres nourrissent la peur, il appelle à la confiance. Son appel à effacer la «hogra» du vocabulaire national ne relève pas de la rhétorique, mais d’un projet de civilisation : refonder la relation entre l’État et le citoyen sur la dignité mutuelle.
Ce projet s’inscrit dans la longue tradition tunisienne d’égalité et de cohésion sociale, héritée du mouvement réformiste et du nationalisme modernisateur. En ce sens, la présidence de Saïed n’est pas une rupture, mais une continuité, celle d’un patriotisme humaniste et exigeant.
Une politique réaliste à portée stratégique
L’action présidentielle actuelle s’articule autour d’un réalisme constructif. Kaïs Saïed sait que la souveraineté ne se décrète pas : elle se bâtit, lentement, par l’autonomie productive, la probité institutionnelle et la conscience collective. En s’appuyant sur les ingénieurs, chercheurs et travailleurs tunisiens, il pose les jalons d’une économie patriotique et éthique, où la production devient un acte de citoyenneté.
Ce réalisme politique se double d’une vision stratégique : la Tunisie, pour redevenir maîtresse de son destin, doit miser sur ses propres forces vives et non sur les conditionnalités extérieures. Dans un contexte international instable, Saïed cherche à instaurer une diplomatie de la dignité, ni soumission ni isolement, qui permette à la Tunisie d’affirmer une voie indépendante, enracinée dans ses valeurs et ouverte sur le monde.
L’audience du 8 novembre ne fut pas un simple épisode du calendrier politique : elle condense une philosophie de gouvernance. À travers l’exemple d’un ingénieur patriote, le Président Kaïs Saïed réaffirme que la reconstruction du pays passe d’abord par la réhabilitation du sens, du mérite et de la responsabilité.
Son projet n’est ni populiste ni utopique : il est profondément réaliste, car il part du terrain, de la société réelle, de ses douleurs et de ses espoirs. En cela, il s’inscrit dans une perspective à la fois politique et spirituelle : faire de la Tunisie non seulement un État souverain, mais une communauté de dignité.
Dans cette lecture, s’affirme le visage d’une Tunisie qui croit encore en elle-même, d’une nation qui rejette la résignation et qui, malgré les obstacles, poursuit sa marche, droite, lucide et confiante, vers son avenir.
