«Des syndicalistes qui ne se soucient pas des intérêts de l’économie nationale», contre «des patrons capitalistes avides de profits sur le dos des travailleurs». L’Union régionale du travail de Sfax (URT-Sfax) et l’Union régionale de l’industrie, du commerce et de l’artisanat de Sfax s’écharpent par communiqués interposés depuis quelques jours. La principale pomme de discorde est la légitimité et le bien-fondé d’une grève générale dans le secteur privé, qui a été décrétée par l’antenne régionale de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) dans la «capitale du Sud».
Dans un communiqué publié jeudi, l’URT-Sfax a vertement critiqué le communiqué publié deux jours plus tôt par l’antenne de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) dans la région, qui avait jugé la grève prévue le mardi 18 novembre «illégale».
«Nous rejetons catégoriquement le communiqué misérable rendu public par l’Union régionale de l’industrie, du commerce et de l’artisanat de Sfax, qui criminalise le droit de grève garanti par la Constitution et considère l’action syndicale comme un acte de trahison», a souligné l’Union régionale du travail de Sfax, pointant «une dérive dangereuse portant atteinte aux relations entre les partenaires sociaux et une incitation contre des milliers de travailleurs réclamant le droit à l’amélioration de leur pouvoir d’achat».
L’URT Sfax a également indiqué que l’antenne régionale de la principale organisation patronale «a pris l’habitude de prendre ce genre de positions hostiles à chaque fois que les travailleurs contestent l’avidité du capital et l’indifférence des autorités face à leurs revendications», rappelant que les négociations sociales dans le secteur privé ont été lancées en mai 2025 avant d’être suspendues, privant les salariés d’une majoration salariale au titre de l’année 2025.
Le communiqué de l’URT-Sfax précise par ailleurs que la grève prévue pour le 18 novembre 2025 «a été décidée conformément aux procédures légales» et constitue «un moyen légitime et responsable» pour lutter contre le gel des salaires et la détérioration du pouvoir d’achat des salariés du secteur privé, notant que la partie patronale «assumera la responsabilité de la montée des tensions sociales».
Deux organisations secouées par des crises internes
L’Union régionale de l’industrie, du commerce et de l’artisanat de Sfax avait publié mardi 11 novembre 2025 un communiqué estimant que «l’appel à la grève du 18 novembre constitue une violation des dispositions de la législation du travail, vu que l’article 134 du Code de travail stipule que les négociations salariales relèvent exclusivement des prérogatives des instances centrales de l’UGTT et de l’UTICA».
Elle a également fait remarquer que le débrayage prévu dans 68 entreprises privées implantées dans le gouvernorat de Sfax «porte atteinte à la paix sociale, nuit à l’économie nationale, notamment aux entreprises exportatrices», tout en indiquant que les entreprises lésées pourraient «saisir la justice pour protéger la liberté du travail».
Cette escalade de tensions entre les syndicats et le patronat intervient alors que le projet de loi de Finances pour l’exercice 2026 prévoit la majoration des salaires dans les secteurs public et privé au titre des années 2026, 2027 et 2028 par le biais d’un décret du gouvernement. Cette mesure représente une première, puisque les augmentations salariales dans les secteurs public et privé sont jusqu’ici décidées lors de négociations entre les partenaires sociaux depuis plusieurs décennies, selon un dirigeant de l’UGTT.
Mise en œuvre en 1973, la politique contractuelle prévoit en effet, des négociations collectives entre le gouvernement, l’UGTT et l’UTICA, plus particulièrement en ce qui concerne la répartition des fruits de la croissance entre les détenteurs de capitaux et les travailleurs.
La passe d’armes intervient également dans un contexte marqué par des crises internes qui secouent aussi bien la centrale syndicale que l’organisation patronale. Après de longues dissensions internes nourries par un amendement controversé, l’article 20 du règlement intérieur, qui avait supprimé la limitation des mandats au sein du Bureau exécutif national et permis la réélection de plusieurs membres du Bureau sortant en février 2022, l’UGTT espère tourner la page, grâce à la tenue d’un congrès anticipé en mars 2025.
Au sein de l’UTICA, de plus en plus de structures régionales et sectorielles dénoncent le report «injustifié» du congrès national de l’organisation, qui aurait dû se tenir en janvier 2023, pointant un «manque de légitimité de l’équipe aux commandes de l’organisation».
Walid KHEFIFI
