Le procès à distance entache-t-il la décision du juge et son intime conviction ? Une question soulevée récemment par certains députés, à l’occasion de l’audition de la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, lors de la plénière d’examen du budget de la mission de la Justice au Parlement. Elle a déclaré en substance, que le procès à distance est plutôt une réussite et qu’il n’influe aucunement sur l’intime conviction du juge qui est tenu de n’importe quelle façon d’appliquer la loi de manière impartiale.
Préféré par ceux qui y voient un moyen d’accélérer les audiences, de réduire les coûts et de limiter les transferts de détenus, ce dispositif promet une justice plus accessible et plus réactive. Mais derrière les écrans, certains estiment que des réserves subsistent dont une communication parfois entravée, une perte de proximité humaine et des risques d’atteinte aux droits de la défense. Entre promesse d’efficacité et craintes d’une justice déshumanisée, la visioconférence peut-elle réellement garantir les mêmes conditions d’appréciation, de dialogue et d’intime conviction que l’audience en présence ?
Il faut dire que les juridictions font face à une surcharge chronique, à des délais d’audiencement de plus en plus longs et à des contraintes sécuritaires et logistiques coûteuses. C’est la raison pour laquelle le procès à distance s’impose progressivement comme une solution moderne, déjà adoptée par plusieurs pays. Longtemps perçue comme une mesure exceptionnelle, la visioconférence est désormais envisagée comme un outil structurel de la justice, capable d’améliorer son efficacité sans en compromettre les fondements.
Avancée significative et optimisation du travail judiciaire
Mais entre partisans convaincus et sceptiques prudents, le débat reste vif. Certains parlementaires avaient émis des objections en se demandant si ce dispositif numérique permet au juge de former son intime conviction dans les mêmes conditions qu’en audience physique. Pour ses défenseurs, le procès à distance constitue l’une des avancées les plus significatives de la transformation numérique du service public judiciaire. Pour cause, ses avantages sont multiples : cela contribue à la réduction des délais, car il y a moins de reports et donc moins de risques de transfert de détenus. Ce qui diminue les risques et les coûts logistiques liés à la sécurité. En outre, cela contribue à une meilleure facilité d’accès à la justice, notamment pour les personnes vivant dans des zones éloignées, ou pour les témoins résidant à l’étranger, ainsi que pour les experts mobilisables à distance. Cela contribue également à l’optimisation du travail judiciaire, certains actes procéduraux techniques peuvent être accomplis rapidement sans monopoliser inutilement une salle d’audience. Ces atouts ne sont pas négligeables, d’autant plus que la justice souffre de sous-effectifs, de surcharge de dossiers et de retards structurels.
La communication entre l’avocat et son client en question
Par ailleurs, les avocats favorables à la visioconférence soulignent également que le procès à distance peut favoriser la sérénité des débats. Un détenu entendu depuis un établissement pénitentiaire apparaît dans un environnement contrôlé, sans les tensions liées au transfert ni à la présence physique de victimes ou de familles susceptibles de créer un climat conflictuel. Aussi, pour les magistrats, la visioconférence permet-elle parfois de mieux structurer l’audience, en évitant les interruptions, en fluidifiant l’enchaînement des interventions et en garantissant une meilleure ponctualité. Tandis que ceux qui n’optent pas pour ce système arguent que le procès à distance n’est pas exempt de limites dont la perte de signaux non verbaux et de contact réel et non virtuel, qui peuvent aider le juge à apprécier la sincérité ou l’attitude d’un prévenu ou d’un témoin. D’un autre côté, il y a la difficulté de communication entre l’avocat et son client qui ne peuvent plus se parler librement durant l’audience. Ces réserves sont réelles mais, selon les partisans du dispositif, elles peuvent être considérablement atténuées, voire neutralisées, par un encadrement adapté avec une bonne qualité technique, une garantie de la confidentialité, une assistance permanente.
L’intime conviction du juge est-elle réellement affectée ?
Pour ceux qui sont favorables au numérique, l’intime conviction du juge n’est nullement affectée, dès lors que la visioconférence est correctement organisée. Pour la bonne raison que l’essentiel de la décision repose sur les pièces du dossier, les auditions à distance permettant toujours d’observer les réactions, la cohérence des propos et la spontanéité. Ce n’est donc pas le mode d’audience qui garantit l’équité, mais la qualité du débat contradictoire, qui peut tout à fait être préservée en ligne. C’est un outil utile, à utiliser toutefois avec discernement. Certes, le procès à distance n’a pas vocation à remplacer l’audience physique, surtout dans les procès criminels ou ceux où la personnalité du prévenu est au centre de la décision. Mais il peut devenir un levier puissant pour fluidifier, moderniser et rendre plus accessible un système judiciaire souvent critiqué pour sa lenteur. L’enjeu ne consiste donc pas à choisir entre tradition et technologie, mais à trouver un juste équilibre, où l’innovation ne sacrifie pas les droits de la défense et la solennité de la justice.
Une justice plus rapide et plus accessible
Le procès à distance, bien encadré et utilisé à bon escient, peut offrir une justice plus rapide, plus souple et plus accessible, sans trahir les principes fondamentaux du procès équitable.
L’essentiel est de rappeler que la technologie doit rester au service de l’humain et non l’inverse. Une condition qui est la seule à permettre d’intégrer durablement la visioconférence dans la justice, sans affaiblir ce qui en fait la force : la recherche de la vérité, l’équilibre des droits dans le sens de la préservation d’un procès équitable et la conviction intime du juge.
Dans un monde où la rapidité des procédures, la sécurité et l’accès à la justice deviennent des enjeux cruciaux, refuser toute évolution reviendrait à figer la justice dans un modèle qui ne correspond plus entièrement aux réalités contemporaines. À l’inverse, adopter la visioconférence sans garde-fous reviendrait à trahir ce qui fonde l’autorité morale du jugement, à savoir la compréhension humaine et l’équité. Ce qui comptera, au final, ce n’est pas la distance entre le juge et le justiciable, mais la proximité entre la justice et ses valeurs.
Ahmed NEMLAGHI
