La recrudescence de la délinquance juvénile, constitue-t-elle un phénomène particulier à la Tunisie ? Il est certain qu’elle ne constitue pas un phénomène isolé. De nombreux pays, développés ou émergents, font face à une augmentation des infractions commises par des mineurs, souvent liée à des mutations sociales, économiques et culturelles profondes. Toutefois, certains facteurs proprement tunisiens donnent à cette dynamique une résonance particulière.
A ce propos, le juge Farid Ben Jha a tenu dernièrement à préciser sur sa page Facebook, que la réduction de l’âge de la responsabilité pénale ne signifie en aucun cas un recours systématique à la prison. Il a rappelé que les politiques pénales modernes reposent sur un équilibre consistant à protéger les droits des victimes d’une part, tout en œuvrant de l’autre à la réinsertion des mineurs en conflit avec la loi. Ainsi, ignorer ou négliger le traitement des comportements délinquants chez les enfants peut selon lui leur porter préjudice avant même de nuire à la société. C’est pourquoi la législation tunisienne privilégie les mesures prévues par la Convention relative à la protection de l’enfant, des dispositifs éducatifs et préventifs destinés à corriger la conduite des mineurs avant qu’ils ne s’enfoncent dans la délinquance. La plupart de ces mesures n’impliquent ni prison ni placement dans un centre de rééducation. Dans plusieurs pays en Europe, comme au Maghreb ou en Amérique latine, les études montrent une évolution similaire, à savoir une multiplication des violences entre jeunes, des agressions en milieu scolaire, vols et actes de vandalisme.
Causes convergentes de la délinquance et nécessité de prise en charge
Les spécialistes identifient généralement des causes convergentes, dont la fragilisation du cadre familial, l’exposition massive aux contenus violents en ligne et sur les réseaux sociaux en général, la déscolarisation précoce, l’accès facile aux drogues et aux armes blanches, la perte de repères et la montée de l’individualisme. Les institutions internationales, notamment l’UNICEF, l’agence des Nations unies qui œuvre pour la protection des droits de chaque enfant à travers le monde, ou l’ONUDC, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, alertent régulièrement sur l’impact des crises économiques, des inégalités sociales et des tensions urbaines, qui poussent les adolescents à adopter des comportements à risque, quoique, selon plusieurs experts, la pauvreté par exemple ne soit pas un indice probant en tant que cause de délinquance. Il y a plusieurs cas où des enfants issus de milieux aisés ont sombré dans la drogue, la violence et toutes sortes de délinquance. Plusieurs études concernant la Tunisie ont permis de constater que la délinquance est liée à plusieurs facteurs qui amplifient le phénomène de délinquance juvénile, dont la crise économique prolongée, qui fragilise les familles et limite les perspectives d’avenir pour les jeunes, la dégradation du système éducatif, marquée par un taux élevé de décrochage scolaire, l’effritement des structures de loisirs publics, laissant un vide social pour les adolescents, une urbanisation rapide, générant des zones périurbaines où les services publics sont insuffisants et un encadrement institutionnel sous-coté, notamment en matière de protection de l’enfance, de prise en charge psychologique et de prévention. Ces éléments créent un environnement où les risques de basculer dans la délinquance deviennent plus importants que dans des systèmes sociaux plus stables.
Prévention, éducation et protection
A ce propos, Farid Ben Jha a souligné également que cette approche est en phase avec l’évolution du droit comparé, notamment la législation française, qui a pris en considération ces enjeux. Il a estimé qu’il est peu probable que les spécialistes en sociologie et en psychologie criminelle aient ignoré l’importance de ces mécanismes de protection et de réhabilitation. Car minimiser les comportements délinquants chez les enfants revient à leur nuire avant même d’en mesurer l’impact sur la société. D’où l’importance, selon lui, de maintenir une approche fondée sur la prévention, l’éducation et la protection, conformément aux principes de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La législation tunisienne privilégie ainsi un ensemble de mesures éducatives et préventives visant à corriger la conduite des mineurs et à prévenir leur basculement dans la délinquance. La plupart de ces mécanismes n’impliquent ni incarcération ni placement en centre de rééducation, mais reposent sur un accompagnement adapté à l’âge et à la situation du mineur. Le juge souligne également que cette orientation est en cohérence avec les évolutions du droit comparé, notamment la législation française, qui accorde une place centrale à la réinsertion et à la responsabilisation progressive des jeunes en conflit avec la loi. La recrudescence ne peut être appréhendée comme une fatalité ni analysée sous le seul prisme sécuritaire. Si la Tunisie partage avec d’autres pays les défis liés à l’évolution des comportements des mineurs, son contexte particulier impose une réponse globale, centrée sur la prévention, l’encadrement et l’inclusion.
Concilier fermeté de la loi et impératif de réinsertion
Aujourd’hui, plus que jamais, il s’agit de renforcer les mécanismes de protection de l’enfance, de mobiliser la famille, l’école et les services sociaux, afin de rétablir un environnement capable de détourner les jeunes de la déviance et de leur offrir de réelles perspectives d’avenir. A ce propos et à titre d’exemple, faut-il abolir les peines de prison pour les jeunes consommateurs de stupéfiants et les remplacer par des mesures alternatives, telles que les travaux d’intérêt général (TIG) ou un suivi thérapeutique ? Pour de nombreux spécialistes, l’incarcération n’a qu’un effet limité sur la prévention de la récidive et peut même aggraver la marginalisation des jeunes en les exposant à un environnement carcéral peu propice à la réinsertion. Les mesures alternatives, accompagnement social, suivi psychologique, programmes de désintoxication et travaux d’intérêt général sont présentés comme des outils plus efficaces pour encadrer le jeune, corriger sa trajectoire et limiter les risques d’enlisement dans la délinquance. D’autres, en revanche, estiment que l’absence de sanction pénale ferme pourrait affaiblir l’effet dissuasif de la loi et encourager une consommation banalisée, dans un contexte déjà marqué par une hausse des infractions liées aux stupéfiants. Un débat qui met en lumière un enjeu central : comment concilier fermeté de la loi, protection de la jeunesse et impératif de réinsertion ?
Offrir au mineur une chance réelle de se reconstruire
Dans cette perspective, plusieurs pays ont adopté une approche graduée : maintien de la sanction pénale, mais recours prioritaire à des alternatives comme les travaux d’intérêt général, l’accompagnement socio-psychologique, ou l’obligation de suivre un programme de soins. Ces mécanismes permettent de responsabiliser le jeune sans le couper de son environnement familial, scolaire ou professionnel. Tel que l’a affirmé le juge Farid Ben Jha, la réinsertion devient ainsi un pilier essentiel de la réponse pénale : offrir au mineur une chance réelle de se reconstruire, tout en protégeant la société. Ce modèle, déjà appliqué dans plusieurs législations avancées, pourrait inspirer une réforme tunisienne fondée sur l’efficacité, l’humanité et la protection durable des jeunes.
Ahmed NEMLAGHI
