Par Mondher AFI
Le 5 décembre 2025, le président Kaïs Saïed s’est rendu au mausolée de Farhat Hached à l’occasion du 73ᵉ anniversaire de son assassinat. Cette visite dépasse la simple commémoration protocolaire, elle établit un lien entre la mémoire historique et la légitimité de l’État, tout en consolidant le dialogue avec la société civile. Farhat Hached, figure emblématique du syndicalisme et de la lutte pour l’indépendance, incarne un repère moral et stratégique orientant les choix politiques et la protection de la souveraineté nationale.
L’assassinat de Farhat Hached par la «Main Rouge», soutenue implicitement par les autorités françaises, illustre la répression coloniale visant à neutraliser toute figure mobilisatrice. Attentats, destructions de biens et intimidations montrent une stratégie méthodique combinant violence et manipulation symbolique pour contrôler la société et les institutions.
La visite du président Kaïs Saïed au mausolée dépasse le cadre d’une simple commémoration, elle ravive un passé structurant qui permet d’examiner les continuités du pouvoir ainsi que les fractures sociales laissées par le colonialisme. Les souvenirs collectifs jouent un rôle essentiel dans la structuration des identités et l’orientation des pratiques sociales. Dans ce contexte, le parcours et les engagements de Farhat Hached orientent l’action présidentielle vers la souveraineté, l’autonomie et la justice sociale.
La démarche du président Kaïs Saïed illustre de manière paradigmatique l’usage stratégique de la mémoire historique comme instrument de légitimation politique. Contrairement à une vision nostalgique ou purement commémorative, la mise en avant de Farhat Hached se transforme en cadre analytique et heuristique permettant d’éclairer les choix contemporains de l’État tunisien. En inscrivant la figure de Farhat Hached dans la conscience politique nationale, Saïed mobilise la mémoire collective pour structurer l’action publique, définir des priorités opérationnelles et renforcer la légitimité de l’État auprès des citoyens et des acteurs internationaux. Cette approche rejoint la conception de Pierre Nora, pour qui les «lieux de mémoire» ne sont pas de simples vestiges du passé, mais des instruments vivants de construction identitaire et de cohésion sociale.
L’héritage de Farhat Hached est utilisé comme repère pour traduire les principes de liberté, de dignité et d’autonomie du peuple tunisien en lignes directrices concrètes pour la gouvernance. En mobilisant ces valeurs historiques, Saïed transforme la mémoire collective en outil stratégique de rationalité politique, permettant à l’État de répondre aux crises contemporaines avec cohérence et légitimité. Max Weber souligne que la légitimité politique repose sur l’acceptation par les citoyens d’une autorité perçue comme juste et légitime. Dans ce cadre, l’évocation de Farhat Hached et des luttes anticoloniales consolide cette légitimité en rappelant que l’État contemporain s’inscrit dans une continuité historique, et que les choix politiques actuels prolongent l’engagement en faveur de la souveraineté et du bien-être collectif. Ainsi, la mémoire n’est pas un simple souvenir du passé, mais un outil de lecture critique des dynamiques de pouvoir et un guide pour l’action publique stratégique.
Leadership, cohésion sociale et résilience institutionnelle
L’approche de Kaïs Saïed peut aussi être analysée à travers le prisme de la sociologie politique et de la stratégie de conduite. La mémoire collective, en tant que processus dynamique selon Maurice Halbwachs, façonne l’identité des sociétés tout en renforçant leur capacité à anticiper et à se projeter dans l’avenir. Dans ce cadre, le souvenir de Farhat Hached se transforme en un instrument de cohésion sociale et d’organisation étatique, consolidant la confiance des citoyens envers les institutions tout en diminuant la distance symbolique entre gouvernants et gouvernés. Cette dynamique joue un rôle fondamental pour prévenir l’exclusion sociale et anticiper les tensions tant institutionnelles que politiques.
Cette approche s’inscrit également dans une conception pragmatique et éclairée du leadership. Antonio Gramsci a montré que la légitimité politique repose sur la capacité à mobiliser l’héritage culturel et symbolique pour influencer les représentations collectives et consolider la cohésion sociale. En reliant les luttes anticoloniales aux enjeux contemporains de souveraineté et de justice sociale, Saïed utilise la mémoire comme levier stratégique pour structurer l’action publique, renforcer la cohésion nationale et accroître la résilience des institutions face aux crises. Weber rappelait que l’efficacité administrative repose sur l’autorité rationnelle-légale, fondée sur des règles et des procédures, mais aussi sur la perception de compétence et de justice. L’action présidentielle conjugue ces dimensions en mobilisant la mémoire historique comme ressource stratégique pour renforcer la légitimité, guider les décisions et assurer la stabilité sociale et politique.
Ainsi, la commémoration de Farhat Hached dépasse le simple hommage symbolique et constitue un véritable outil de gouvernance. Elle illustre comment l’expérience historique peut être transformée en instruments concrets pour bâtir un État souverain, capable de gérer les crises, de protéger ses citoyens et de promouvoir une société fondée sur la justice et la continuité historique. La mémoire collective devient un levier de rationalité politique, de cohésion sociale et de résilience institutionnelle, garantissant que les principes pour lesquels Farhat Hached a sacrifié sa vie, liberté, dignité et autonomie du peuple tunisien, restent au centre de l’action gouvernementale.
Gouvernance de proximité, interaction citoyenne et valorisation de l’expérience historique
La visite du Président Kaïs Saïed au siège du gouvernement à la Kasbah et dans le centre de Tunis pour rencontrer directement les citoyens traduit une logique de gouvernance de proximité, où l’État se place au cœur de l’expérience sociale et où le dialogue avec les citoyens devient central. D’un point de vue sociologique, cette démarche réduit la distance symbolique et politique entre le gouvernement et la population, consolidant la légitimité des institutions et renforçant la confiance sociale. Comme l’a rappelé Max Weber, l’autorité légitime repose non seulement sur la contrainte, mais sur la reconnaissance volontaire et la légitimité perçue par ceux qui sont gouvernés. En s’immergeant dans les préoccupations quotidiennes des citoyens, le président transforme la mémoire historique en un outil concret de gouvernance, en reliant le souvenir des luttes anticoloniales aux besoins et aux attentes actuelles.
L’approche stratégique adoptée par Kaïs Saïed établit un lien explicite et réfléchi entre les luttes de résistance historique et les défis contemporains auxquels l’État tunisien est confronté. En réactivant l’héritage de Farhat Hached, figure emblématique du combat anticolonial, le président ne se limite pas à un geste symbolique ou commémoratif, il utilise cet héritage comme un véritable levier structurant pour orienter l’action publique et renforcer la légitimité de l’État. Dans cette perspective, la mobilisation du passé devient un outil stratégique, permettant de transformer l’expérience historique en guide opérationnel pour la gouvernance, tout en consolidant la cohésion sociale et la confiance des citoyens envers les institutions.
Cette approche trouve un écho théorique dans les travaux d’Antonio Gramsci, qui a souligné l’importance de l’hégémonie culturelle et du rôle central de la mobilisation symbolique dans la transformation des sociétés. Selon Gramsci, le pouvoir politique ne se limite pas à la domination coercitive : il s’exerce également par la capacité à structurer les représentations collectives et à orienter la perception des citoyens, en instaurant des cadres de référence partagés et légitimes. Dans ce contexte, la réactivation de l’héritage de Farhat Hached par Kaïs Saïed permet de créer un cadre symbolique capable de relier les expériences historiques aux enjeux contemporains, donnant aux politiques publiques une assise morale et sociale solide.
En pratique, cette démarche se traduit par une orientation des actions gouvernementales vers la justice sociale, la protection effective des droits des citoyens et le renforcement de la souveraineté nationale. Le président transforme ainsi le passé en un levier stratégique : il sert de guide pour la planification et la mise en œuvre des politiques publiques, tout en consolidant la légitimité de l’État à la fois auprès des citoyens et des acteurs internationaux. La mémoire de la lutte anticoloniale devient un outil analytique, permettant de mesurer la persistance des logiques de pouvoir et d’identifier les priorités essentielles pour l’action gouvernementale.
Par ailleurs, cette approche illustre une compréhension fine des dynamiques sociopolitiques et des mécanismes de gouvernance efficaces. En s’appuyant sur l’héritage symbolique de Farhat Hached, le président démontre comment le passé peut être mobilisé pour structurer la société, prévenir les fractures sociales et anticiper les crises institutionnelles. Cette articulation entre le symbolique et le concret permet d’assurer un équilibre entre les besoins historiques de reconnaissance et les exigences contemporaines de stabilité, de cohésion et de développement stratégique. Ainsi, l’action présidentielle montre que le passé n’est jamais un simple récit nostalgique, mais un instrument opérationnel capable de renforcer la capacité de l’État à affronter les défis politiques, sociaux et économiques du présent et de l’avenir.
Vision et stratégie
L’action de Kaïs Saïed révèle une compréhension approfondie des interactions entre histoire, identité et exercice du pouvoir. La commémoration de Farhat Hached dépasse le simple hommage symbolique, elle devient un outil stratégique pour mobiliser l’héritage historique afin de structurer la société et renforcer la capacité de l’État à répondre aux attentes des citoyens. Dans un contexte marqué par des fractures sociales et des défis institutionnels hérités du colonialisme, cette approche relie le symbolique au concret, transformant le souvenir collectif en cadre décisionnel légitime et vecteur de cohésion nationale. En inscrivant les luttes anticoloniales dans l’action contemporaine, le président montre que le passé n’est pas uniquement un récit nostalgique, mais un guide pour orienter les choix politiques, consolider la confiance citoyenne et renforcer la construction institutionnelle autour de principes de justice sociale et de stabilité.
Cette démarche illustre une vision globale de la gouvernance, où l’État utilise l’histoire pour affirmer sa légitimité tout en maintenant une interaction directe avec la société civile. Elle traduit la capacité à transformer l’expérience historique en facteur de résilience institutionnelle, limitant la marginalisation et consolidant le tissu social et politique. En articulant symbolique et pragmatique, Kaïs Saïed propose un modèle de gestion capable de naviguer à travers crises et tensions tout en préservant la stabilité institutionnelle et la cohésion nationale. Le souvenir de Farhat Hached devient ainsi repère moral, guide stratégique et outil analytique pour définir les priorités, anticiper les défis contemporains et affirmer la souveraineté nationale.
Cette approche transforme l’expérience historique en instrument de rationalité politique et de planification stratégique, permettant de structurer des choix cohérents, d’équilibrer justice sociale et efficacité administrative, et de renforcer la légitimité de l’État auprès des citoyens et à l’international. La démarche présidentielle traduit une lecture critique et prospective de l’histoire tunisienne, reliant les combats anticoloniaux aux exigences actuelles de gouvernance et de souveraineté.
