Le centre culturel Néapolis abrite une exposition de céramique intitulée « Figures Fugaces » de l’artiste Leila Karoui, docteur en arts, design et médiations artistiques, qui a essayé de nous interroger sur ces identités digitales réunissant la résistance à la fragilité, la persistance à la précarité et la trace durable contre le flux fugace. Cette exposition est une série de portraits abstraits en céramique. Ce sont des figures humbles, effacées et primitives obéissant au geste de l’existence, de persistance et de résistance. Une terre malléable qui se transforme suivant le geste créatif de la main en trace, en empreinte dessinant des figures traduisant la fragilité de l’être dans la solidité finale comme une façon de durer. Incarnant la condition humaine, ces figures façonnées avec délicatesse, afin d’être transformées et parfois fissurées, révèlent une présence au monde à travers leurs exploitations dans des mises en forme identitaires. Ces dernières se tracent, naissent et renaissent à travers la texture des matériaux, amalgame de terre, verre et miroir… Ces matériaux délicats révèlent nos façons d’exprimer d’une part la résistance de l’être dans le monde réel mais aussi la fragilité de sa persistance dans le virtuel et réciproquement.
Fragment digitalisé : une interaction de l’existence
Dans ce dispositif visuel, l’artiste -céramiste Leila Karoui a réfléchi sur une disposition murale augmentée composée d’un portrait effacé posé entre deux plaques de verre avec un système de fixation par vis sur les quatre côtés rassurant le montage et la mise en scène du portrait crée/ fabriqué en céramique. Sur la plaque de verre montée directement sur le visage, les visiteurs aperçoivent des chiffres qui se poursuivent de façon juxtaposée et linéaire. Ce sont les codes binaire 0 et 1 des algorithmes, langage de base des machines, ne sont autre que la signature portant mon nom et prénom afin de prouver une existence numérique. Afin d’inviter le visiteur à une interaction avec cette révélation numérique, ce dernier est appelé à scanner un QR code placé à côté du dispositif. L’œuvre s’inscrit dans une manifestation de l’émergence de soi entre le matériel et l’immatériel dans une perception métaphorique.
Nommée fragment digitalisé, cette œuvre est une sorte d’interaction visuelle qui fait animer les codes binaires évoquant une certaine palpitation des bits (abréviation de binary digit). Cette palpitation révèle une présence en ligne qui devient de plus en plus effervescente et vibratoire au moment de l’interaction. Cela renforce l’idée d’une présence virtuelle qui trace l’interaction d’une existence en ligne marquant les traits d’une identité numérique fictive. Et comme le souligne Leila Karoui « Notre recours au matériau du verre associé à la céramique explique le paradoxe révélé au sein de ces matériaux. Céramique et verre, tous les deux sont issus du sable, de la terre, matière originaire de l’être humain ; réunis dans un même dispositif qui s’interroge sur le dilemme de la fragilité de l’être et sur son passage rapide. Malgré la présence matérielle de l’être à travers l’existence d’une matière tangible, texturée portant les cicatrices de l’existence ; ce dispositif remet en question l’existence de l’être qui se révèle via un profil numérique devenant visible au travers des données. L’exploration de cette existence combinée est un processus en devenir de soi en train de se faire dans un instant arrêté. Ce fragment digitalisé illustre un arrêt sur le temps, sur le soi et sur l’existence.Cette réflexion critique souligne la transition des identités entre ce qui est réel, fossilisé dans la matière et ce qui se dissout, se pixellise et se fragmente dans le flux numérique. La céramiste Leila Karoui façonne l’avenir de la céramique, remet en cause les normes établies et nous inspire à élargir notre perspective sur cet art. Sa contribution et ses œuvres créent un récit qui dépasse la convention, propulsant la céramique dans un monde de possibilités.
Kamel Bouaouina
Photos Rached Berrazagua






