Les examens de la semaine bloquée sont finis. C’est depuis hier que la correction et la remise des notes aux élèves ont commencé dans tous les établissements scolaires. «Quelles notes as-tu eues aujourd’hui ?», «Combien tu as eu en maths ?», «T’as eu la moyenne en philo ou non ?»…
Telles sont les questions et d’autres encore qu’on pose ces jours-ci à nos enfants qui étudient au lycée ou au collège et qui viennent à peine de passer les devoirs de synthèse durant la semaine bloquée. Et les voilà encore vivant une autre semaine de tension, d’attente et d’angoisse auxquelles s’ajoutent les interminables tracasseries des parents. En effet, pendant cette semaine «post-bloquée» qui marque la fin du trimestre, les élèves vivent une ambiance fiévreuse : c’est la semaine de la récolte. On les voit partout dans la cour, dans les salles de classe, dans le train, dans le bus et à la maison, faisant et refaisant leurs comptes et l’on peut remarquer leur joie ou leur malaise selon que le résultat affiché par la calculatrice est bon ou mauvais.
Les uns sont satisfaits, les autres sont déçus, d’autres encore vont jusqu’à discuter leur note avec le professeur dans l’espoir de grignoter encore quelques quarts de points. C’est alors qu’à cette occasion, certains professeurs sont taxés de sévères et d’incompréhensifs, d’autres plutôt qualifiés de tolérants et de paternels. Mais à quoi est due cette effervescence qui gagne nos établissements scolaires à chaque fin de trimestre ? L’évaluation chiffrée est-elle à l’origine de cette atmosphère nerveuse qui règne dans les rapports parents/élèves/professeurs ? Peut-on voir naître un jour une école où les notes obtenues par l’élève ne sont plus basées uniquement sur l’évaluation des connaissances ?
C’est que l’importance qu’on accorde, à tort ou à raison, aux notes dans notre société, prend des proportions alarmantes, chez l’élève comme chez ses parents, si bien que la note obtenue, qu’elle soit bonne, moyenne ou mauvaise, pourrait déterminer la nature des futures relations entre parents et enfants. Souvent, une mauvaise moyenne trimestrielle risque de bouleverser des projets de vacances tant attendus. Les notes scolaires, ainsi conçues, sont une source de bonheur ou de malheur pour l’élève qui, s’il est bon, travaille d’arrache-pied pour exceller et faire de plus en plus plaisir à ses parents et si, au contraire, il est médiocre, il fait de son mieux, usant de tous les moyens, même illicites (les délits de fraude et de tentative de fraude sont très courants dans nos écoles) pour arracher la moyenne et ainsi échapper aux reproches des parents.
C’est la note qui compte le plus
De même, la plupart de nos élèves semblent malheureusement se préoccuper des notes plus que de la formation, de telle sorte que l’intérêt matériel le remporte souvent sur l’intérêt intellectuel. Les bonnes notes et le classement d’abord, le reste importe peu, tant que, dans notre système, tout dépend des notes et des moyennes : passage de classe, concours, accès aux écoles pilotes, orientation…
Si la majorité des élèves aspire à améliorer ses notes, c’est surtout de crainte de ne pas satisfaire un désir parental et de ne pas être à la hauteur. En d’autres termes, la note n’est plus considérée aux yeux de certains élèves comme étant l’évaluation de l’effort fourni, mais plutôt un indicateur du degré d’entente entre parents et enfants. Il n’est pas donc surprenant de remarquer l’affluence de certains parents au cours de cette semaine devant l’administration et la salle des professeurs pour faire part de leurs doléances quant aux résultats de leurs enfants. On voit surtout la présence massive des parents d’élèves, venus pour «discuter» les notes avec tel ou tel enseignant, quitte à leur demander d’améliorer un tant soit peu une note faible obtenue par l’élève dans une discipline donnée. Il va sans dire que ces mauvais agissements qui semblent satisfaire certains parents ne pourraient que nuire au rendement pédagogique de leurs enfants. De même, les parents dont les enfants sont en 7e année de base ou en 1ère année secondaire ne manquent pas au rendez-vous ; ceux-ci s’inquiètent en remarquant une chute importante dans les notes de leurs enfants, comparées à celles obtenues précédemment. Or, cette baisse est due essentiellement à la transition école/collège et collège/lycée qui ne s’effectue pas sans difficulté pour les élèves de ces classes. En effet, ces élèves sont confrontés à un nouveau contexte scolaire, à de nouvelles matières véhiculées en français (au lycée) alors qu’elles étaient enseignées en arabe (à l’école de base) ; ajoutons à cela les méthodes de travail qui diffèrent d’un enseignant à l’autre. Tous ces changements influent forcément, d’une manière ou d’une autre, sur le résultat scolaire des élèves qui trouvent souvent des difficultés énormes pour s’adapter aux nouvelles conditions d’études.
Il faut signaler ici que bon nombre de parents ignorent encore que la note attribuée à l’élève est soumise à des critères d’évaluation et à un barème de notation dûment établis d’avance et scrupuleusement appliqués et que l’octroi de la note relève essentiellement de la compétence autonome du professeur. Toutefois, une telle attitude de la part de certains parents, soucieux de l’avenir de leurs enfants, est excusable et compréhensible car il faut imaginer l’incidence de la baisse des notes sur la motivation des élèves et sur leur sentiment et surtout sur leur propre image au sein de l’école et aux yeux de leur entourage. Imaginez aussi la déception des parents qui ont dû investir un budget important dans les cours particuliers.
L’évaluation chiffrée ne suffit pas
L’évaluation chiffrée (invention du XXe siècle) est une procédure de notation déjà ancrée dans notre société dont il est très difficile de se passer, bien que présentant certains aspects négatifs. Cette méthode vise, en effet, qu’on le veuille ou non, à hiérarchiser et à différencier entre les élèves dont la majorité est victime de cette sélection scolaire. Mais qui dit que cette méthode sélective n’est pas à l’origine de la fameuse évaluation chiffrée ?
De nos jours, il s’est avéré que ce jaugeage de l’élève n’est pas toujours précis car plusieurs facteurs peuvent entrer en jeu lors de la correction des copies d’examen : il y a toujours le côté subjectif et humain (donc irrationnel) qui pourrait peser sur les appréciations et la décision finale du correcteur. C’est pourquoi dans certains pays on se lance sérieusement dans la recherche d’autres moyens plus efficaces et moins traumatisants pour les élèves. En France, pour ne citer qu’un seul exemple, le ministère de l’Education a introduit depuis des années une nouvelle note baptisée «note de vie scolaire» qui doit prendre en considération non seulement le niveau scientifique de l’élève mais aussi tout ce qui le relie au milieu scolaire : le respect du règlement interne, l’assiduité, le degré d’intégration dans le groupe, la civilité, la participation aux différentes activités culturelles et sportives de l’école, le respect de l’environnement, et j’en passe… C’est donc une tentative visant à faire de l’élève l’homme de demain capable d’affronter les obstacles et de relever les défis d’un siècle nouveau où l’on vit chaque jour des mutations tous azimuts.
Sans doute, la formation académique demeure essentielle pour l’élève d’aujourd’hui, mais l’école se doit également de le doter d’autres moyens susceptibles de le prémunir contre les risques que la vie moderne pourrait entraîner… En d’autres termes, en éducation, le «savoir» tout court ne suffit plus, il faut aussi le «savoir-faire», le «savoir-vivre» et le «savoir-être», trois atouts essentiels dont un élève diplômé aura besoin pour garantir une bonne place dans ce monde en perpétuel changement. L’élève sera ainsi évalué non seulement sur ses performances en mathématiques ou en langues mais aussi sur ses capacités humaines et civiques, voire sur ses valeurs universelles. Va-t-on, un jour, voir une révision de l’évaluation chiffrée dans nos écoles à la lumière des prochaines réformes du système éducatif qui, malheureusement, tardent à venir ?
Hechmi KHALLADI
