Quel rôle de l’intelligence artificielle (IA) dans la prévention et la détection des pratiques frauduleuses ? C’est au cours d’une rencontre organisée le 9 décembre 2025, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la corruption, par la Direction générale de la gouvernance relevant de la présidence du gouvernement, en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), que les intervenants ont essayé d’apporter des éléments de réponse à cette question.
D’aucuns ont souligné que les technologies d’analyse prédictive, fondées sur l’exploitation de volumes massifs de données, offrent désormais la possibilité d’anticiper les risques de corruption, de repérer les anomalies dans la gestion des marchés publics et d’améliorer la traçabilité des décisions administratives. D’autres ont toutefois affirmé que l’IA, à elle seule, ne constitue pas une solution miracle. Son efficacité dépend étroitement de la qualité des données disponibles, du niveau de formation des agents publics et de l’existence d’un cadre normatif clair garantissant le respect des droits fondamentaux, dont la protection des données personnelles, la transparence des algorithmes et la responsabilité des décideurs.
IA et nécessité de réviser le cadre législatif
Cette assertion exige la nécessité de moderniser le cadre législatif tunisien, afin d’intégrer les usages de l’IA dans les politiques publiques de lutte contre la corruption. Sans règles précises, le recours à ces technologies pourrait générer de nouveaux risques, allant de l’opacité décisionnelle à des atteintes aux libertés individuelles. En effet, selon une évaluation préliminaire réalisée par l’UNESCO et présentée lors d’un colloque sur la recherche scientifique et l’éthique de l’IA, les législations tunisiennes accusent un retard notable par rapport aux standards internationaux. Pour certains experts en communication, la Tunisie voit croître l’intérêt de ses étudiants pour les technologies modernes et progresse en matière d’accès à Internet et de production scientifique, mais reste prisonnière d’un cadre juridique inadapté aux défis de l’IA. Ce qui nécessite de renforcer le système national de protection et de stockage des données et d’accélérer la formation des compétences locales. C’est la raison pour laquelle il a été affirmé au cours de rencontre, par certains responsables, que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique travaille à l’élaboration d’un document de référence fixant recommandations et indicateurs pour un usage sécurisé de l’IA dans l’enseignement et la recherche. Mourad Belassoued, chef de cabinet du ministre, a souligné que cette modernisation n’a pas seulement une vocation technique. Elle doit refléter une ambition éthique, afin que l’IA demeure au service de l’humain et du développement durable. Par ailleurs, un écosystème encore fragile mais riche en potentiel, est parmi les programmes de l’UNESCO au profit du Maghreb, pour 2026, afin de mieux consolider l’usage sécurisé et responsable de l’IA, notamment des sessions de formation pour les enseignants et jeunes diplômés.
Nécessité de rupture avec les pratiques traditionnelles de gestion publique
Malgré d’autres défis freinant l’essor de l’IA dans le pays, dont l’extrême fragmentation des données publiques, l’IA agit comme un miroir tendu au système national de gouvernance. La question centrale ne réside plus seulement dans la capacité de l’intelligence artificielle à lutter contre la corruption, mais bien dans l’aptitude de l’État à assumer le degré de transparence qu’impose l’usage de telles technologies. Car l’IA, par nature, ne peut être efficace que dans un environnement institutionnel ouvert, fondé sur la circulation des données, la traçabilité des décisions et la redevabilité des acteurs publics. Pour les experts, le recours à l’IA implique une rupture profonde avec les pratiques traditionnelles de gestion publique. Il suppose que les institutions acceptent de s’exposer à un contrôle accru, en publiant leurs données, en expliquant les mécanismes de prise de décision automatisée et en ouvrant leurs systèmes à des audits indépendants. Sans cette transparence radicale, l’intelligence artificielle risque de rester un simple outil technologique, sans réel impact sur les réseaux de corruption. Dans cette perspective, les réformes législatives et les politiques anticorruption doivent converger vers un même objectif : bâtir un État capable de s’autocontrôler, de réduire les zones d’opacité et de limiter les marges de manœuvre des pratiques illégales. Il ne s’agit donc pas uniquement de moderniser les outils, mais de repenser en profondeur les modes de gouvernance, les mécanismes de gestion des données publiques et les règles encadrant leur partage et leur protection.
IA, volonté politique, éthique publique et contrôle humain
C’est dans cette logique que s’inscrit la vision défendue par le Président de la République, Kaïs Saïed, qui plaide pour un État fondé sur la transparence, la responsabilité et la rupture avec les anciennes pratiques de corruption. Une orientation que partagent les intervenants, estimant que la Tunisie ne pourra tirer pleinement parti de l’intelligence artificielle qu’à condition d’engager une transformation structurelle de son appareil institutionnel, alliant innovation technologique, réforme juridique et renforcement des capacités humaines. En définitive, les participants sont convenus de reconnaître que l’intelligence artificielle ne saurait remplacer la volonté politique, l’éthique publique et le contrôle humain, mais qu’elle peut, si elle est correctement encadrée, devenir un puissant moteur de prévention, de transparence et d’intégrité. La lutte contre la corruption, ont-ils conclu, passe désormais par une alliance intelligente entre innovation technologique, réforme institutionnelle et renforcement des capacités humaines. Son efficacité dans la lutte contre la corruption dépend moins de la sophistication des algorithmes que de la volonté réelle de rompre avec l’opacité, l’impunité et les pratiques héritées du passé.
Pour la Tunisie, le défi est donc double : moderniser ses instruments de gouvernance tout en refondant la culture administrative sur la transparence, la redevabilité et l’intérêt général. À cette condition seulement, l’IA pourra devenir un levier crédible de prévention, de détection et de dissuasion des pratiques corruptives. C’est dans cette perspective que s’inscrit la vision portée par le Président de la République Kaïs Saïed, qui appelle à un État capable de s’autocontrôler, de rendre des comptes et de mettre la technologie au service de la souveraineté, de la justice et de la dignité nationale.
Ahmed NEMLAGHI
