Par Slim BEN YOUSSEF
Il y a des lieux où un pays bat des records — et où il apprend à rêver plus haut. El Menzah est de ceux-là. On y a vu des buts légendaires, des drapeaux venus de partout, des maillots mêlés, et un soir de 1996, Michael Jackson faire vibrer une génération persuadée que la Tunisie pouvait parler au monde. Ce stade fut un écrin de gloire et de concerts, de dribbles et de ballades ; un amphithéâtre de fierté nationale et de rêves simples : courir, chanter, applaudir.
Les gradins ont vieilli, les murs ont pâli, les couloirs ont pris l’odeur des herbes folles et des saisons inabouties. On a laissé la poussière s’accumuler comme une habitude – comme si l’abandon était une politique. On a voulu le démolir. On a rêvé de le céder. Pire : certains ont imaginé troquer ce patrimoine pour une rente rapide, céder l’héritage pour quelques faveurs. D’autres infrastructures ont flirté avec le même sort : Chedly Zouiten, le Belvédère, le campus d’El Manar, la piscine municipale. La mémoire s’est mise à douter, le béton a souffert, l’imagination s’est recroquevillée.
Les nations se reconnaissent à leurs écoles, à leurs hôpitaux, à leurs trains… et à leurs stades. Ceux de Tunisie ont vieilli, souffert, parfois été convoités par les appétits privés. Mais un pays ne vend pas son âme en mètre carré. Il la protège, il la restaure, il la magnifie. Le sport façonne la jeunesse, la santé, la diplomatie, le tourisme. Il crée des exploits, des emplois, des vocations. Il forge des champions et, parfois, des nations.
Il faut croire à ceci : ce qui a brillé peut briller encore. À condition de s’en donner les moyens — et la mission. Pendant des années, on a tenté de survivre en bricolant : gestion opaque, courtage sauvage, tours d’agent plus habiles que le jeu. Nommer les fautes, c’est déjà commencer la réforme. Il faut aussi croire à ceci : les nations ne se construisent pas à la pelleteuse ; elles se bâtissent par passion. Passion vouée à leurs lieux, à leur jeunesse, à leur ambition.
Notre histoire sportive est riche malgré des moyens modestes. Elle a offert des médailles, du courage, des larmes utiles. Elle mérite un avenir. De Sidi Bouzid à Béja, de Kerkennah à Tabarka, de Médenine au Kef, le pays peut bâtir des enceintes, des centres d’entraînement, des terrains de quartier. Un village olympique à Djerba ? Une ambition naît d’un budget ; une nation sportive, d’une ambition.
Le rêve aussi est une infrastructure — et il ne rouille pas.
El Menzah mérite une renaissance. Et la Tunisie aussi.
