L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adopté récemment, en séance plénière, le projet de loi n°23-2023 portant des dispositions exceptionnelles pour le recrutement dans la fonction publique des diplômés de l’enseignement supérieur restés longtemps au chômage. Le texte a été approuvé dans son intégralité par 92 voix pour, une voix contre et quatre abstentions.
L’objet de cette loi consiste à instaurer une procédure exceptionnelle d’intégration dans la fonction publique et le secteur public des diplômés de l’enseignement supérieur au chômage de longue durée, notamment pour ceux âgés de plus de quarante ans. Il est donc question de régulariser la situation des diplômés de l’enseignement supérieur à travers un recrutement exceptionnel dans les différents secteurs publics, sous la supervision du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Est prévue également la mise en place d’une plateforme numérique destinée à l’inscription des candidats et à leur classement selon des critères précis.
Des conditions particulières sont toutefois exigées, notamment celle de l’âge, avec une priorité accordée aux personnes de plus de 40 ans, l’ancienneté du diplôme (plus de dix ans), la situation sociale. En cas de pluralité de candidats appartenant à une seule famille, un seul candidat est retenu par famille. Par ailleurs, pour pouvoir s’inscrire sur la plateforme, les candidats doivent être enregistrés auprès des bureaux de l’emploi, ne pas avoir bénéficié de régularisations professionnelles antérieures, ne pas être affiliés de manière continue à un régime de retraite ou de sécurité sociale, ne pas disposer d’un identifiant fiscal au cours de l’année précédant l’inscription, et ne pas avoir contracté un prêt dépassant 40 000 dinars au moment de l’inscription.
Enfin selon ladite loi, le recrutement se fera sur dossier, suivi d’une phase de formation et de qualification, en fonction des postes et des besoins des institutions concernées. Les postes vacants seront pourvus parmi les candidats remplissant les conditions requises, tout en veillant à l’équilibre entre les différentes spécialités.
Mobilisation des ressources nécessaires excédant 70 millions de dinars
Autant de conditions dont le gouvernement est appelé à tenir compte dans le recrutement des diplômés chômeurs avec sagacité et clairvoyance, afin de satisfaire au maximum des demandes présentées par les concernés qui attendent depuis longtemps d’être embauchés dans un poste conforme à leur niveau universitaire. Surtout qu’il leur faut se recycler et se mettre à jour après une longue attente qui pourrait affecter leurs capacités intellectuelles alors qu’avec le temps, les notions scientifiques peuvent évoluer et même changer. C’est la raison pour laquelle le pouvoir législatif avait pleinement assumé ses responsabilités en adoptant ce dispositif, estimant qu’il appartenait désormais à l’Exécutif d’en assurer la mise en œuvre effective.
C’est dans ce sens qu’est intervenu récemment le député Youssef Tarchoun, sur les ondes d’une radio de la place, en affirmant que la ministre des Finances est appelée à mobiliser les ressources nécessaires afin de garantir l’exécution budgétaire de la loi, précisant que le recrutement des 10 000 bénéficiaires concernés ne représenterait pas une charge excédant 70 millions de dinars pour les finances de l’État. Ajoutant que les députés useraient de tous les leviers politiques à leur disposition pour contraindre le gouvernement à débloquer les financements requis.
Certes, et comme l’a affirmé le député, cette loi vise à apporter une réponse durable à la marginalisation prolongée de milliers de diplômés de l’enseignement supérieur. Surtout que plusieurs d’entre eux sont sans emploi depuis plus de dix ans. Toutefois, et en plus du côté financier, il va falloir consacrer les moyens nécessaires afin de les intégrer au mieux et ce, dans le but de mieux les initier aux différents services auxquels ils seront affectés, afin qu’ils soient agissants et à même d’apporter un plus au service public.
Avec la motivation, la fonction crée l’organe
Ainsi, au-delà de l’effort financier consenti par l’État, il sera indispensable de mobiliser des moyens humains, pédagogiques et organisationnels afin d’assurer leur formation, leur encadrement et leur initiation aux missions des services auxquels ils seront affectés. Sans cette phase de mise à niveau et de professionnalisation, le risque existe de voir ces recrutements perdre de leur efficacité, voire de générer un sentiment de frustration tant chez les bénéficiaires que dans les structures d’accueil. D’où le défi qui réside dans la capacité de l’administration à absorber ces nouvelles ressources humaines, à les valoriser et à les intégrer dans une logique de performance du service public, en rupture avec certaines pratiques bureaucratiques routinières.
Pour autant, le Président de la République, Kaïs Saïed, assume clairement ce choix stratégique. Il estime qu’il vaut mieux recruter un diplômé sans expérience mais animé par la motivation, l’espoir et le sens du service public, qu’un fonctionnaire expérimenté mais démobilisé, voire impliqué dans des pratiques de corruption. Cette approche repose sur la conviction que la compétence peut s’acquérir, tandis que l’intégrité, l’engagement et la volonté de servir l’intérêt général sont des valeurs fondamentales qu’il faut préserver et encourager. Ne dit-on pas en effet que la fonction crée l’organe ?
En définitive, cette loi s’inscrit dans une vision plus large de réforme de l’État et de restauration de la confiance entre les citoyens et les institutions, car elle traduit la volonté politique de rompre avec l’exclusion sociale et la marginalisation des diplômés, tout en insufflant un sang neuf à l’administration publique. Si les défis sont réels, leur dépassement dépendra de la capacité des responsables au sein des différents ministères à accompagner ces recrutements par une réforme en profondeur des méthodes de gestion, de formation et d’évaluation, afin que ces diplômés deviennent non seulement des agents publics intégrés, mais de véritables acteurs du renouveau du service public.
Ahmed NEMLAGHI
