La diaspora tunisienne est majoritairement concentrée en Europe, avec un double mouvement de rajeunissement et de féminisation progressive, bien que certains segments de la population soient en voie de vieillissement. Les profils qui choisissent de revenir sont généralement très qualifiés : la majorité possède un diplôme universitaire supérieur et des expériences professionnelles diversifiées à l’international.
Plusieurs Tunisiens, bardés de diplômes, avec une voie professionnelle toute tracée en Europe ou aux Etats-Unis, de gros salaires inclus, envisagent de rentrer au pays. Certains quittent des pays où ils ont construit leur carrière, leur vie et parfois leur famille, pour revenir s’installer en Tunisie, porteurs d’un savoir et d’une expérience accumulés à l’étranger. Ces parcours de retour, entre espoirs, défis professionnels et négociations identitaires, dessinent une mosaïque complexe de réussites et de difficultés. Derrière chaque trajectoire se cache une volonté de contribuer au développement du pays tout en retrouvant un ancrage personnel et social.
Les motivations pour revenir en Tunisie sont diverses. Certaines personnes sont motivées par des raisons familiales ou affectives, d’autres par la volonté de participer activement au développement du pays, ou encore par le désir de créer des projets innovants et socialement significatifs. 20% des Tunisiens de la diaspora déclarent envisager un retour définitif en Tunisie. C’est ce qu’a révélé une enquête récente menée par Emrhod Consulting, les raisons familiales arrivent en tête avec 32% des enquêtés. 21% souhaitent passer leur retraite en Tunisie, tandis que 24% expriment une envie d’entreprendre. Parmi les leviers jugés attractifs, 83% jugent très captivante l’idée d’avoir des procédures administratives simplifiées, 79% plaident pour la simplification des règles bancaires et de change et 76% cherchent une garantie de protection sociale à leur retour.
Une feuille de route pragmatique
L’intégration n’est pas sans obstacles. Les témoignages recueillis font état de contraintes institutionnelles récurrentes : lenteur administrative, rigidités structurelles, difficultés à obtenir des postes ou des responsabilités en adéquation avec leurs qualifications. Selon une enquête récente menée par Emrhod Consulting, 10 obstacles ont été identifiés, dont trois se démarquent nettement : le marché du travail, jugé peu attractif par 71% des sondés, en raison d’un manque d’emplois qualifiés et de salaires insuffisants, le manque d’opportunités entrepreneuriales, cité par 69% qui évoquent les difficultés à lancer et à développer un projet et, enfin, la lourdeur des démarches administratives, dénoncée par 62% des répondants. S’ajoutent également d’autres contraintes : le cadre de vie (64%) et le système fiscal et réglementaire (58%).
L’intégration de la diaspora ne se limite pas à des mesures symboliques, elle nécessite une planification rigoureuse, une coordination interinstitutionnelle et des programmes pilotes permettant d’expérimenter de nouvelles approches. L’élaboration d’indicateurs de performance et une communication ciblée sont également essentielles, tout comme la capacité d’adaptation continue, basée sur l’innovation et la valorisation des réussites. C’est dans ce cadre que l’Association tunisienne des grandes écoles (ATUGE) organise le 23 décembre 2025, à Tunis un atelier de restitution de l’étude relative à la feuille de route de l’attractivité au retour de la diaspora qui présentera les principaux résultats de l’étude, identifiera les obstacles au retour des compétences tunisiennes expatriées et discutera des éléments attractifs et des incitations susceptibles de favoriser un retour durable. Cette étude a été menée par l’ATUGE dans le cadre du projet THAMM-OFII, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII).
Un potentiel stratégique encore sous-exploité
La diaspora tunisienne doit bénéficier d’une meilleure écoute du gouvernement et devenir un véritable partenaire stratégique dans la construction de l’avenir de la Tunisie qui pourra aller plus loin avec notre diaspora, qui ne doit plus être perçue seulement comme une source de ressources financières. Pour arriver à ce résultat, il faut une meilleure écoute de la part du gouvernement. Cela implique aussi une représentation plus active de la diaspora dans les instances nationales et un accompagnement adapté à leurs réalités spécifiques, comme c’est le cas de certains pays. A titre d’exemple, le cas de l’Irlande est très illustratif. En effet, les Irlandais ont été pionniers dans l’activation de la diaspora irlandaise aux Etats-Unis pour attirer des investissements directs. Durant les années 80, ils ont attiré d’immenses capitaux d’Amérique, en grande partie grâce aux attaches personnelles et familiales, et ont utilisé cet argent pour construire des usines. La diaspora a été essentielle pour initier la reprise, lors de la crise financière qu’avait vécue l’Irlande, par des incitations économiques, une stratégie d’influence ciblée ; ils ont, par exemple, attiré les sièges européens de nombreuses sociétés internet.
Le potentiel est immense. Mais la réalité actuelle montre qu’il reste encore beaucoup à accomplir. Au-delà de l’appel au retour, se pose la question des mécanismes d’accompagnement. La diaspora tunisienne veut y contribuer, c’est une certitude. Mais comment créer les conditions optimales pour que ce retour soit réussi, durable et mutuellement bénéfique ? Comment transformer cette volonté en impact concret ? Une chose essentielle que le débat actuel montre, c’est que les Tunisiens, qu’ils soient ici ou ailleurs, veulent que leur pays réussisse. Ils sont prêts à s’engager, mais ils attendent qu’on leur offre des ponts solides.
Kamel BOUAOUINA
