Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné les vingtième et vingt-deuxième rapports périodiques combinés de notre pays, et ce, les 26 et 27 novembre. Il en est, entre autres, ressorti que ce comité a noté l’absence de statistiques exhaustives sur la composition démographique de la population, ventilées par appartenance ethnique, y compris sur la minorité ethnique amazighe, les Tunisiens noirs et les non-citoyens, ainsi que sur la situation socio-économique des différents groupes de population.
Pour le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, cette dernière reste un obstacle à la pleine réalisation des droits de l’homme. Dans ce cadre, ce comité a examiné, fin novembre, la situation de notre pays d’après les vingtième et vingt-deuxième rapports envoyés par celui-ci. Rappelons, au passage, que notre pays a signé la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) le 12 avril 1966 et l’a ratifiée le 13 janvier 1967.
Au bout de cet examen, le Comité a fourni ses observations finales, en donnant ses préoccupations et recommandations. Ainsi, tout en prenant note des statistiques fournies par notre délégation, il s’est dit inquiet, entre autres, de l’absence de statistiques exhaustives sur la composition démographique de la population, ventilées par appartenance ethnique, y compris sur la minorité ethnique amazighe, les Tunisiens noirs et les non-citoyens, ainsi que sur la situation socio-économique des différents groupes de population.
Au niveau de nos cadres législatif et institutionnel, le Comité s’est félicité, entre autres, de l’adoption de lois contre toutes les formes de discrimination raciale et mettant en infraction la diffusion de propos haineux et l’incitation à la discrimination raciale et aux crimes de haine.
Cependant, il a noté l’absence de législation antidiscriminatoire exhaustive interdisant expressément les formes structurelles, directes, indirectes et croisées de discrimination dans les sphères publique et privée, les retards excessifs et l’absence de progrès dans la mise en place de la Commission nationale de lutte contre la discrimination raciale, et l’absence de mesures politiques globales pour lutter contre la discrimination raciale et les crimes de haine.
Accélérer la mise en place d’un système de collecte de données
Il a, ainsi, conseillé à notre pays, entre autres, d’adopter une législation antidiscrimination exhaustive, de mettre en place rapidement la Commission nationale de lutte contre la discrimination raciale, en lui allouant les ressources humaines, financières et techniques adéquates et d’élaborer et d’adopter un cadre politique de lutte contre la discrimination raciale et les crimes de haine, en assurant la participation effective des organisations de la société civile.
Même si le Comité a pris note des informations relatant qu’entre 2018 et 2020 nos tribunaux ont rendu des jugements dans plus de 350 affaires de discrimination raciale et qu’en 2024, 14 de ces affaires étaient liées à la loi organique n° 2018-50 du 23 octobre 2018 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, il a, entre autres, souligné le manque d’informations actualisées, détaillées et ventilées sur les plaintes pour discrimination raciale et crimes haineux, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les sanctions prononcées par les tribunaux, l’absence de progrès dans la mise en place du système judiciaire de collecte de données sur les plaintes pour discrimination raciale et crimes de haine, et les cas de discours de haine et diffusion de stéréotypes négatifs à l’encontre des Tunisiens noirs et des non-citoyens, notamment sur Internet et les réseaux sociaux, et par des personnalités politiques et publiques influentes.
Le Comité a, notamment, recommandé à notre pays de garantir la mise en œuvre effective de la loi organique n°2018-50 par les forces de l’ordre, les procureurs et les magistrats, d’adopter des mesures efficaces pour garantir l’existence et l’accessibilité de canaux de signalement sécurisés aux victimes de discrimination raciale et de crimes de haine, de mener des campagnes d’information du public sur les droits consacrés par la Convention et sur les modalités de dépôt des plaintes pour discrimination raciale, et d’accélérer la mise en place d’un système de collecte de données judiciaires pour les plaintes relatives à la discrimination raciale et aux crimes de haine, afin de garantir la disponibilité de données statistiques sur ces plaintes. Ces données devront figurer dans le prochain rapport.
Adopter des mesures justes et équitables
Le Comité a signalé avoir eu vent que les Tunisiens noirs continuaient de subir une discrimination structurelle et une marginalisation qui entravent la jouissance des droits garantis par la Convention, notamment en matière d’accès à l’emploi, à l’éducation et aux services publics, qu’ils portaient encore des noms de famille à connotation raciste ou discriminatoire, et que la banalisation de termes offensants était encore de mise dans la vie courante.
Ainsi, le Comité a demandé à notre pays, entre autres, d’adopter des mesures efficaces, y compris des mesures spéciales, pour lutter contre la discrimination raciale structurelle et la marginalisation des Tunisiens noirs, afin d’améliorer leur accès à l’éducation, à l’emploi et aux services publics, de prendre des mesures pour remédier aux séquelles historiques de la traite transsaharienne et de la période qui y est associée, notamment en luttant contre l’emploi de termes offensants dans la vie courante et en veillant à ce que les Tunisiens noirs souhaitant changer de nom de famille à connotation raciste ou discriminatoire puissent le faire grâce à des procédures accessibles, rapides et gratuites.
Au niveau du groupe ethnique minoritaire amazigh, le Comité a indiqué avoir reçu des renseignements selon lesquels certaines municipalités refusaient toujours d’enregistrer les prénoms amazighs, et ce, malgré la circulaire de juillet 2020, et avoir noté le manque d’informations et de statistiques officielles sur la situation de ce groupe, et le manque d’enseignement dans les écoles publiques en langue tamazight, leur langue maternelle, qui est classée comme langue en danger par l’UNESCO.
Il a recommandé que notre pays assure, entre autres, la mise en œuvre effective de la circulaire du 15 juillet 2020 autorisant l’enregistrement des prénoms amazighs pour les nouveau-nés, d’adopter des mesures pour garantir l’accès à l’enseignement dans leur langue maternelle aux membres de cette minorité dans les écoles et universités publiques et d’allouer des ressources humaines, techniques et financières suffisantes pour assurer un enseignement de qualité en langue tamazight.
Il a, également, recommandé que notre pays adopte des mesures visant à assurer une représentation juste et équitable des Tunisiens noirs et des Amazighs, en particulier des femmes, dans le secteur public et aux postes de décision et de haut niveau.
Zouhour HARBAOUI
