Vingt-deux anciens dirigeants de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ont lancé une initiative de conciliation pour tenter de trouver une issue à la crise interne qui secoue l’organisation, en rapprochant les points de vue entre l’aile favorable à la tenue d’un congrès anticipé en mars 2026 et celle qui plaide pour le maintien du statu quo jusqu’au prochain congrès ordinaire prévu en 2027.
Dans un communiqué adressé à l’opinion publique, ces dirigeants, parmi lesquels figurent plusieurs anciens secrétaires généraux adjoints comme Ali Ben Romdhane, Hédi Ghodhbani, Abdelmajid Sahraoui, Ridha Bouzriba et Kamel Saâd, ont estimé que la centrale syndicale historique traverse actuellement une étape «dangereuse» et se trouve dans «un état de paralysie quasi totale qui menace son existence et sème l’inquiétude dans le milieu syndical et social».
Ils ont également exprimé leur préoccupation au sujet de la crise interne découlant de «l’incapacité des dirigeants actuels à gérer les divergences de manière démocratique et de leur manie à prendre des décisions précipitées et arbitraires», notant que les pratiques et les positions de «certains membres de l’équipe aux commandes de l’organisation ont accentué les divisions pour servir des intérêts personnels, claniques ou partisans, ce qui a terni au passage l’image de l’UGTT auprès de l’opinion publique».
Pour tourner la page des dissensions internes et redorer le blason de la centrale syndicale, les signataires du communiqué ont appelé au lancement d’un «dialogue interne responsable et édifiant, sans exclusion ou marginalisation» et à la «levée des mesures disciplinaires prises à l’encontre des syndicalistes ayant exprimé des opinions différentes de celles de la direction». Ils ont, d’autre part, plaidé pour une «évaluation approfondie, précise et transparente de la situation interne pour mettre fin à tous les dépassements, dont notamment les violations des principes de fonctionnement démocratique».
L’UGTT connaît depuis plus de quatre ans des dissensions internes, sur fond d’accusation de «manque de légitimité» de la direction issue du congrès de février 2022. Tout a commencé en juillet 2021 lorsqu’un amendement de l’article 20 du règlement intérieur a été adopté lors d’un congrès extraordinaire convoqué par l’ensemble des hautes instances dirigeantes de l’organisation.
Cet amendement a supprimé la limitation de l’exercice de la responsabilité au sein du Bureau exécutif national à deux mandats seulement, permettant ainsi la réélection de plusieurs membres du Bureau exécutif, dont Noureddine Taboubi, Slaheddine Selmi, Monoêm Amira, Sami Tahri et Hfaïedh Hfaïedh, lors du congrès de février 2022.
Revirement inattendu
La forte opposition des syndicalistes actifs dans les structures de base de l’organisation et dans les structures intermédiaires à cet amendement a donné lieu à une «chasse aux sorcières» qui a contribué à vider l’UGTT de ses éléments les plus combatifs. De nombreux syndicalistes ont été exclus ou, du moins, marginalisés, tout au long des dernières années, ce qui a abouti à un affaiblissement sans précédent de l’organisation et à une réduction de sa marge de manœuvre.
Face à ce constat alarmant, cinq membres du Bureau exécutif (Anouar Ben Gaddour, Slaheddine Selmi, Taher Mezzi, Monoêm Amira et Othmen Jallouli) ont changé leur fusil d’épaule lors d’une réunion du conseil national, une instance dirigeante qui représente la deuxième plus haute autorité décisionnelle après le congrès, tenue en septembre 2024, réclamant la tenue d’un congrès anticipé pour mettre fin à la crise de légitimité et donner un second souffle à l’organisation.
Sous la pression des membres du conseil national, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, avait alors présenté publiquement des excuses pour «tripatouillage» des statuts de l’organisation en juillet 2021. Il n’a pas cependant accepté le recours à un vote sur la tenue d’un congrès anticipé. Et ce n’est qu’après plus de huit mois de luttes intestines que les deux ailes rivales du bureau exécutif ont conclu, en mai dernier, un accord sur la tenue du prochain congrès anticipé du 25 au 27 mars 2026, soit environ onze mois avant les délais initialement prévus (février 2027).
Une nouvelle volte-face très inattendue a été cependant enregistrée lors de la dernière réunion de la commission administrative tenue le 5 décembre. Neuf membres du Bureau exécutif se sont attachés à la tenue du prochain congrès dans les délais initiaux, en l’occurrence en 2027. En réaction à ce revirement, Noureddine Taboubi et Anouar Ben Gaddour, qui se sont attachés à la tenue d’un congrès anticipé en mars prochain pour tourner la page des dissensions internes, ont brandi la menace de la démission. Cette discorde montante et riche en rebondissements sème le doute sur les chances de succès de la grève générale prévue le 21 janvier prochain, en signe de protestation contre le blocage du dialogue social.
Walid KHEFIFI
