À l’approche des vacances scolaires et des fêtes de fin d’année, la circulation des liquidités en Tunisie poursuit sa progression spectaculaire, confirmant un basculement durable des habitudes de paiement vers le cash, au détriment des instruments scripturaux, dont notamment le chèque.
Cela est dû au fait que le chèque n’a plus le même usage depuis la nouvelle loi 41 de 2024, bien qu’à la base, il reste un instrument de paiement. Cependant que naguère, il était fréquemment utilisé comme instrument de crédit, dans un but de paiements échelonnés. C’était une pratique courante chez les commerçants qui proposaient des facilités de paiement à leurs clients moyennant des chèques échelonnés sur un certain nombre de mois. Ce qui, malheureusement, a donné lieu à divers abus, tels que les cavaleries et autres enfreintes de la loi cambiaire en général.
La pratique du chèque de garantie a généré les problèmes de chèque sans provision et a altéré par là même, les relations commerciales et nui à la situation économique d’une manière générale. Les émetteurs de chèques sans provision se retrouvaient dans de mauvaises postures. Ceux qui sont condamnés à de lourdes peines pénales, étaient soit en fuite soit acculés à purger leurs condamnations, à défaut de régularisation par le paiement de fortes sommes. Ce qui a contribué à l’engorgement des prisons d’une part et de l’autre, à la fuite à l’étranger parmi ceux qui sont condamnés pour le délit de chèque sans provision, dont certains chefs de PME.
Fin des pratiques monétaires abusives
Avec la nouvelle loi, s’il y a eu une dépénalisation pour les chèques ne dépassant pas 5000 dinars, la procédure concernant l’usage des chèques a totalement changé, tant concernant le fond que la forme. Il y a désormais une plateforme (tunicheque.tn) lancée par la Banque centrale de Tunisie (BCT) début 2025 pour sécuriser les transactions, réduire les chèques sans provision et renforcer la confiance dans les transactions. Elle permet de vérifier en temps réel la validité d’un chèque et l’existence d’une provision suffisante. L’adhésion à cette plateforme est obligatoire pour toutes les banques.
Par ailleurs, le formulaire du chèque est totalement différent de l’ancien. Le chèque est désormais barré, c’est-à-dire qu’il ne permet plus au bénéficiaire un retrait direct, mais il doit le verser directement dans son compte bancaire. Autant d’éléments dont le but a été de mettre fin aux anciennes pratiques, afin de faire recouvrer au chèque sa fonction initiale, à savoir un instrument de paiement à vue. Dès lors, il y a une baisse de l’usage du chèque avec un retour considérable au cash. Selon les derniers chiffres publiés par la Banque centrale de Tunisie (BCT), le montant des billets et pièces en circulation a atteint, le 18 décembre 2025, un niveau historique de 26,178 milliards de dinars, contre 22,042 milliards de dinars à la même période de l’année précédente. Il s’agit d’une augmentation de 4,136 milliards de dinars, soit une hausse annuelle de 18,76%, un rythme particulièrement soutenu.
Cette envolée des liquidités intervient dans un contexte bien précis. Traditionnellement, les périodes de fin d’année sont marquées par une intensification des dépenses des ménages, liées notamment aux fêtes, aux congés scolaires, aux déplacements et à la consommation courante. Toutefois, cette dynamique saisonnière se trouve aujourd’hui amplifiée par un facteur structurel : la forte baisse de l’usage du chèque.
Accélérer la modernisation des systèmes de paiement
Depuis l’entrée en vigueur de nouvelles réglementations encadrant plus strictement l’émission et l’utilisation des chèques, de nombreux opérateurs économiques et particuliers privilégient désormais le paiement en espèces. Les limitations imposées au nombre de chèques, aux montants autorisés et les risques juridiques associés aux incidents de paiement ont contribué à accélérer cette transition vers le cash, perçu comme plus simple et immédiat, malgré ses inconvénients. Pour les observateurs, cette situation révèle un changement profond dans les comportements financiers. «Le cash redevient un instrument central de transaction, aussi bien pour les ménages que pour certaines activités commerciales», souligne un analyste financier, tout en rappelant que cette tendance pose plusieurs défis majeurs.
En effet, une circulation excessive de liquidités complique la traçabilité des transactions, peut favoriser l’économie informelle et réduit l’efficacité des politiques de lutte contre l’évasion fiscale. Elle exerce également une pression supplémentaire sur le système bancaire, appelé à assurer l’approvisionnement continu en billets, notamment lors des périodes de forte demande. Du côté des autorités monétaires, la vigilance reste de mise. Si la Banque centrale assure que cette hausse s’inscrit en partie dans un cycle saisonnier, elle n’en demeure pas moins révélatrice des limites actuelles des moyens de paiement alternatifs et de la nécessité d’accélérer la modernisation des systèmes de paiement électroniques et digitaux.
Consommation au détriment de l’épargne et précautions nécessaires
À moyen terme, les experts estiment que le défi consistera à rééquilibrer les modes de paiement, en restaurant la confiance dans les instruments scripturaux et en favorisant l’inclusion financière, afin de réduire la dépendance croissante au cash sans freiner l’activité économique. En attendant, à l’approche des fêtes, le billet de banque s’impose plus que jamais comme le principal vecteur des échanges, confirmant une tendance lourde qui redessine le paysage financier tunisien.
La préférence pour le cash s’inscrit également dans un contexte de pression sur le pouvoir d’achat. Les ménages, confrontés à l’inflation et à l’érosion des revenus réels, privilégient des moyens de paiement perçus comme plus sûrs et plus immédiats. Macro-économiquement, cela traduit une économie davantage tournée vers la consommation de court terme, au détriment de l’épargne bancaire et de l’investissement productif. Face à cette évolution préoccupante, plusieurs précautions s’imposent afin de rétablir un équilibre sain entre liquidités, inclusion financière et justice économique.
Intégration dans le secteur formel et renforcement des mécanismes de contrôle
Il devient impératif de réhabiliter la confiance dans les instruments de paiement scripturaux et électroniques. Cela passe par une modernisation du cadre juridique, une sécurisation accrue des transactions et une simplification des procédures, notamment pour les commerçants et les petites entreprises.
Il est nécessaire également d’accélérer la transition vers les paiements numériques, en particulier dans les services publics, les administrations et les transactions commerciales courantes. L’élargissement de l’usage du paiement mobile, des cartes bancaires et des plateformes digitales constitue un levier essentiel pour réduire la dépendance au cash.
Cela sans négliger la lutte contre l’économie informelle qui doit être menée de manière structurelle et graduelle, en combinant incitations à l’intégration dans le secteur formel et renforcement des mécanismes de contrôle. La formalisation de l’activité économique permettrait d’élargir l’assiette fiscale sans alourdir la pression sur les contribuables respectueux de la loi. Cela dit, il importe de veiller à préserver la stabilité sociale, en évitant toute mesure brutale susceptible de pénaliser les ménages modestes ou les petits opérateurs économiques.
En définitive, le recul du chèque et la montée du cash traduisent à la fois des réalités sociales profondes et des défis majeurs pour la souveraineté économique. Entre inclusion financière et lutte contre l’économie informelle, l’État doit rétablir l’équilibre : protéger les catégories vulnérables tout en préservant la transparence monétaire. C’est dans cette perspective que s’inscrit l’action du Président de la République Kaïs Saïed, guidée par la justice sociale et le renforcement de l’autorité économique de l’État.
Ahmed NEMLAGHI
