Originaire de Kélibia, Mohamed Zouari est né en 1952. Titulaire d’une maitrise en peinture qu’il a obtenue en Irak en 1979, il n’a cessé de multiplier les expositions personnelles et collectives depuis 1971, date de sa première exposition à la galerie de la municipalité de Tabarka. Depuis, il a sillonné de nombreuses villes du pays pour y présenter ses œuvres, il a en outre effectué plusieurs participations à l’étranger (France, Abou Dhabi, Italie, Egypte). Il a organisé plus de 25 expositions personnelles dont une rétrospective (2011) où il a exposé ses travaux réalisés entre 1980 et 2011, ainsi que plus d’une vingtaine d’exposition collectives.
Les expositions de Mohamed Zouari se suivent et ne se ressemblent pas, tellement les innovations artistiques et techniques ne tarissent pas chez cet artiste génial, original et incomparable. C’est qu’il se donne à fond dans son travail pour créer des œuvres magistrales et enchanteresses. Nous avons rencontré l’artiste lors de sa dernière exposition personnelle à la Galerie Saladin. Entretien.
– Vous êtes originaire de Kélibia, cette belle ville du Cap Bon, dans quelle mesure cette ville est une source d’inspiration pour vous ?
– Entre Kélibia et moi, il y a cet attachement viscéral et la plupart de mes œuvres en témoignent. J’y ai vécu tous les beaux souvenirs, mais aussi j’ai passé par des contretemps désolants surtout à mes débuts quand mon père, homme pieux et puritain, m’empêchait de créer des sculptures d’objets ou d’individus, sous prétexte que c’est un péché que d’exposer ces « statues » à la maison, car pour lui, cela constituait un porte-malheur, si bien qu’un jour, à mon grand malheur, il a jeté tous mes ouvrages dans le puits de notre domaine. Chose qui m’a beaucoup touché ! Cependant, le milieu où je vis ne m’a jamais empêché de m’exprimer librement, ce qui a créé chez moi ce désir de création et d’invention, de dépassement et de fugue vers de nouveaux univers pour voir la vie et le monde autrement, là où je trouverais vraiment ma satisfaction et ma plénitude.
– Vous avez donc débuté par la sculpture. Pourquoi cette attirance précoce vers la sculpture ? Parlez-nous de cette étape de votre parcours artistique.
– Oui en effet ! Mais, j’ai aussitôt adopté une autre tendance artistique, celle qui consiste à marier la sculpture à la peinture, créant ainsi mon style personnel que j’appelle la sculpturo-peinture, ce qui m’a permis de renouveler mon art, et d’explorer d’autres formes d’expression en changeant souvent de techniques, de matières et même de supports.
– J’ai remarqué dans vos travaux que vous puisez également votre inspiration de l’antiquité et des mythologies arabo-musulmanes. Pourquoi ce retour au passé ?
– Oui, je suis fortement habité par la culture arabe, islamique et andalouse, mais aussi des mythologies anciennes. Mes peintures évoquent notre passé certes, mais personnellement je vois ce passé sous un autre angle, étant très ému par les horreurs perpétrées dans le monde arabe depuis l’avènement de l’Islam et les invasions arabes : les pays arabes ont toujours été gouvernés par le bâton et le bâillon, par des chefs de tribus et des princes sanguinaires et hostiles à toutes les opinions adverses, chose qui perdure malheureusement jusqu’à nos jours ! C’est pour cette raison, que la plupart de mes travaux parlent de ces époques où l’ignorance, l’intolérance, le fanatisme et l’obscurantisme étaient de rigueur. C’est mon point de vue que j’exprime en toute liberté dans mes travaux artistiques. J’évoque également dans mes travaux les récits, les voyages et les épopées qui depuis des siècles ont façonné l’imaginaire et le merveilleux de l’Humanité. En peignant des personnages historiques comme Tarafa Ibn El Abd, ou Teabbata Charra, ou encore La Kehena ou Mourad III, je ne fais que rappeler leurs conduites répréhensibles !
– Un jour, vous avez décidé de brûler tous vos anciens travaux. Parlez-nous des raisons qui vous ont poussé à commettre cet autodafé.
– J’ai toujours rêvé de réaliser des choses inédites, c’est pourquoi je tends toujours vers de nouveaux horizons où qu’ils soient. Un jour, j’ai constaté que les tableaux que j’avais réalisés ne convenaient plus à l’heure actuelle, ils sont en quelque sorte dépassés par le temps, quoiqu’ils soient d’une valeur artistique incontestable. Je les ai amassés et j’y ai mis le feu sans avoir aucun regret, car j’ai toujours voulu réinventer les techniques et les thèmes dans mon travail artistique.
– Vos travaux ne ressemblent pas aux autres créations courantes et ils sont parfois équivoques. Pourquoi ?
– Un peintre ne doit jamais ressembler aux autres, car la créativité est multiple. Personnellement, je n’ai pas suivi les sentiers battus, mes œuvres constituent une révolution dans la sphère culturelle, je réalise des choses qui n’existent pas chez d’autres peintres. J’ai toujours affirmé une certaine singularité et je dois la conserver. Peut-être que mon style est unique, mais les techniques diffèrent. Quant aux thèmes abordés, je ne peins que ce qui dérange, ce qui gêne, ce qui choque, ce qui attire l’attention !
– A quel moment de la journée vous peignez ?
– Ma maison se trouve à Kerkouane à quelques kilomètres de la ville de Kélibia, entre mer et verdure. Je suis un homme solitaire, mes amis sont rares. C’est pour cette raison que je passe presque tout mon temps dans mon atelier. Je n’ai pas d’heure fixe, parfois je commence tôt le matin pour terminer tard le soir, parfois je commence à deux heures du matin. Quand je travaille, je ne m’aperçois pas du temps qui passe.
Interview réalisée par Hechmi KHALLADI