L’association Museum Lab, avec le soutien de TFANEN CREATIVE TUNISIA, a convié des représentants des médias pour l’inauguration du circuit culturel « Hkeya Fi Hkeya » au Kef. Le rendez-vous était donné du côté du Mausolée Sidi Bouloufa restauré et réhabilité en collaboration avec la municipalité du Kef et avec le soutien de la fondation Drosos pour servir désormais d’un espace d’information et d’orientation touristique. L’idée du projet « Hkeya Fi Hkeya » revient à la jeune diplômée et activiste de la société civile, Yasmine Cherni. C’est l’histoire d’un petit projet devenu grand, car était porté par le rêve de jeunes natifs de cette région ayant participé à différents ateliers et cycles de formation programmés par le Museum Lab et qui n’aurait pas vu le jour sans le concours de plusieurs partenaires administratifs et sociaux.
Le projet en question consiste à mettre en œuvre une application interactive disponible sur smartphone pour aider les visiteurs à suivre un circuit touristique auquel on a donné le nom de « Hkeya Fi Hkeya ». Les contes et les légendes du Kef sont racontés au fil d’un circuit pédestre parcourant le centre historique de la ville pendant presque deux heures. En cours de route c’est la voix et l’allure d’un Fdaoui qu’on télécharge dans les différentes stations du circuit en se servant des bornes QR codes, installées près des monuments visités, permettant de découvrir l’histoire de chaque patrimoine bâti. La version payante de l’application se rapportant au circuit touristique « Hkeya fi Hkeya » tel que proposé par ce projet mené merveilleusement à terme par l’association ‘’Museum Lab’’ sera mis en vente à partir du mois de janvier 2022 sur réservation.
De petites histoires de personnages et une grande Histoire de la région
« Hkeya fi Hkeya » c’est l’histoire du Kef dit ‘’El Kef il ali’’, de cette cité du monde perchée au sommet d’une région du nord ouest tunisien bâtie par les romains au pied du Mont Djebel Eddyr et dressée en rempart contre les convoitises. Clôturé entre les sept portes de sa médina d’antan … l’ancien Kef ottoman est une cité enchanteresse qui a toujours charmé tous ceux qui y sont venus le conquérir, pour qu’ils s’y installent et y ajoutent du sien. C’est du moins ce que pense l’historien et archéologue fin connaisseur de la région, Mohamed Tlili venu expliquer les manières dont l’équipe de travail a procédé pour rénover et réhabiliter le mausolée Sidi Bouloufa « J’ai demandé aux jeunes de s’y prendre comme s’ils avaient quelque chose de précieux entre les mains. Ils ont travaillé en se menant d’un scalpel pour toucher à chaque pierre, la sentir, mesurer sa valeur intrinsèque en tant que legs de l’ancestralité » dit-il avec la conviction d’un homme qui connait mieux que quiconque les trésors enfouis de cette cité…. Situé à 175 Km de Tunis et à 40 Km à l’Est de la frontière algérienne, le Kef était, depuis la haute antiquité, une place forte et dominante pour celui qui veut contrôler la région du Nord-Ouest. En haut lieu de la culture et de la civilisation, Le Kef offre le luxe d’un voyage à travers les Empires et les siècles anciens, ceux notamment d’un Orient raffiné et opulent en même temps que fascinant, d’un Occident proche et lointain présent à travers les vestiges de la civilisation romaine et de l’époque coloniale, ouvrant ses portes sur un lieu qui vit des contrastes d’un passé omniprésent et dialogue avec les signes de la vie actuelle.
L’emplacement du Mausolée sidi Bouloufa où on a été accueilli en est un exemple frappant. Il est situé à l’ancienne ‘’Hara’’, le quartier juif , à quelques mètres de la « Ghriba », lieu de culte des juifs kéfois.
Le Kef c’est aussi une cité qui porte la mémoire des personnages mythiques et réels se bousculant au portillon de l’histoire et sur lesquels ce projet a planché. De là est venu l’idée de « Hkeya fi Hkeya » qui donne aujourd’hui matière à réflexion et à méditation et surtout en prêtant oreille aux contes et légendes qui nourrissent l’imaginaire collectif kéfois.
Pour en avoir une idée précise, il suffit de suivre le Fdaoui dans son voyage à travers les mots répandant la bonne parole offerte à la postérité …et en empruntant les rues et les ruelles de la médina du Kef à l’intérieur et en dehors de ses remparts…
Un circuit touristique pas comme les autres
Notre premier contact avec cette terre bénie, car hébraïque, biblique et islamique, était marquant. Nous étions plutôt fixés sur les brèves interventions du guide ( la pétillante médiatrice Chaima) qui nous parlait de la diversité et de la qualité des vestiges déposés par l’Histoire, de cette formation géologique faites de strates qui à elle seule témoigne du passage des Romains, des Ottomans et du colon français. « Le kef est une ville en pierre, c’est donc une ville éternelle » répète-t-elle sans arrêt en insistant sur la noblesse de cette cité du monde dont les vestiges des temps passés témoignent du passage de plusieurs civilisations. En cours de route nous nous sommes arrêtés dans plusieurs stations pour connaître davantage l’ancienne cathédrale Saint Pierre , l’école primaire kéfoise bâtie en 1908, le cinéma Cirta, les cimetières des juifs, chrétiens et musulmans … Ces lieux qui servent de points d’orgue de cette visite enchantent par la découverte d’une contrée chargée d’histoire et où ont cohabité, juifs, chrétiens et musulmans à travers un espace où se dressent synagogues, mausolées , mosquées et cathédrales procurant un véritable pèlerinage des sens.
Mais ce n’est pas tout, car l’application en question nous fait découvrir plusieurs autres personnages à travers un quizz et des jeux ludiques. Il faut jouer le jeu pour connaître davantage ces personnages mythiques qui nourrissaient l’imaginaire collectif kéfois, comme ‘’Rohbane’’, ‘’ Nide’’ et ‘’Al Ghoula’’ et qui faisaient peur aux petits et aux grands. Brrrrr.
La grande Histoire du Kef est en fait un condensé de petites histoires de personnages qui ont vécu réellement ou ont été de purs produits de la culture populaire locale. L’Histoire du Kef c’est aussi l’histoire de femmes respectables ayant vécu pendant des époques différentes, à commencer par Barthe la femme juive qui a aimé un homme qui n’était pas de sa confession. Elle s’est attirée les foudres de sa communauté et a été rejetée par les siens avant de voir la justice divine opérer et lui rendre honneur … pour qu’elle devienne le symbole de la tolérance et du vivre ensemble. C’est aussi l’histoire de Lalla Mna, ou encore de Lalla Laaéj, une musulmane à qui les jeunes femmes demandent grâce et bénédiction avant de se marier…
Un projet d’incubation des jeunes inactifs
Cet événement, apprenons-nous, s’inscrit dans le cadre d’un projet de plus grande ampleur porté par l’association Museum Lab, débuté en 2020, de numérisation du patrimoine immatériel du Kef, via une plateforme, dans le but de conserver, valoriser et diffuser le patrimoine culturel immatériel tunisien. Les principes d’action de Museum Lab reposent sur la formation et l’intégration socio-économique de diplômés inactifs de la région, la valorisation du patrimoine matériel et immatériel tunisien auprès des habitants et du grand public, et une synergie avec l’écosystème touristique. » commente Hatem Drissi , coordinateur scientifique de l’association qui continue en avançant « « Le patrimoine est un domaine miné et rares sont les diplômés qui décrochent un emploi dans ce domaine d’activités et donc l’idée était d’innover dans ce métier et de constituer un modèle économique à travers un projet concret autour du patrimoine et des produits dérivés. »
Ce projet n’aurait pas vu le jour, bien entendu, sans l’heureuse collaboration entre plusieurs partenaires dont le programme Tfanen Creative Tunisia, financé par l’Union européenne au titre du Programme d’appui à la culture en Tunisie (PACT) et le ministère des Affaires culturelles, le British Council et en coopération avec EUNIC et Digital Cultural Experience (DCX).
Des niches touristiques à exploiter
En parcourant « Hkeya fi Hkeya », notre randonnée pédestre a duré quasiment deux heures. Nous étions entre 800 et 1000 mètres d’altitude, à respirer un air pur qui emplissait nos poumons de l’odeur de cette végétation typique de la région : le luxuriant Pin d’Alep qui se dressait en hauteur ou encore le Genévrier qui laisse échapper son odeur agréable d’un arbre connu pour ses vertus médicinales. La biodiversité c’est aussi un produit touristique inexploité, tout comme le tourisme culturel qui s’étend et se diversifie avec ces multiples sites et monuments archéologiques et historiques et ces produits dérivés qui constituent une niche touristique nettement rentable que le tourisme balnéaire qui a fait son temps mais qui reste imposé par les vautours du tourisme sous nos cieux. Il est temps de pousser au changement pour donner toutes les possibilités à des niches touristiques qui drainent une clientèle sélective et dépensière de prendre de l’élan.
Mona BEN GAMRA