Que la démocratie tunisienne, dite « naissante », traverse, aujourd’hui, sa plus mauvaise passe depuis 2011, et se démène tel le noyé qui cherche à s’agripper, cela n’échappe désormais plus à personne. Face à ce constat d’échec de toute la classe politique et dirigeante de la post-révolution, l’attention se porte tout naturellement, aujourd’hui, sur le rôle que pourrait –ou devrait ?- jouer, dans ce contexte très particulier, la Société Civile tunisienne. Laquelle a fait montre, à chaque fois qu’elle est sollicitée, de beaucoup de créativité, de fraicheur et d’intelligence, alors que la classe politicienne a toujours manqué cruellement d’imagination.
Certes, les grandes organisations nationales, tel que l’UGTT, l’UTICA, l’UTAP, la Ligue des Droits de l’Homme (LTDH), l’Ordre des Avocats, et l’on en passe, ont su rester, comme elles l’ont toujours été, une force de proposition et une voix de la sagesse, en assumant un rôle de « régulateur », jusque-là efficace, de la scène tant politique qu’économique et sociale de la Tunisie, mais est-ce, aujourd’hui, vraiment suffisant, au vu de l’état actuel des lieux ? L’échec de la dernière initiative de l’UGTT pour instaurer un « dialogue national bis », témoigne peut-être bien aujourd’hui, de l’absence de toute marge de manœuvre laissée encore possible à la Société Civile, par une classe politique, des plus « sourdes », qui paralyse, pratiquement, tous les rouages de l’Etat, depuis un bon bout de temps.
A l’heure où la fracture entre le peuple et ses « élites » politiciennes se fait plus que jamais profonde, et face à l’échec de toutes les politiques publiques de la post-révolution, sur fond d’une crise socio-économique, aigue et décidément chronique, exacerbée par les dérives parlementaires, le dilettantisme dirigeant et la corruption institutionnalisée, les Tunisiennes et les Tunisiens n’ont plus d’autres choix, il faut en convenir, que de « se tapir » sous l’égide de la Société Civile, seule partie qui jouit encore de la crédibilité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, et véritable dernier bastion, toujours inébranlable, de la République. Ou, du moins, de ce qui reste, aujourd’hui, de celle-ci…
Dernier bastion ? Encore faut-il veiller à resserrer les rangs et à renforcer les remparts, du moment qu’il y a péril en la demeure, et que la gangrène, rétrograde et pernicieuse, persiste à ronger la Tunisie de toutes parts. Car, il est de ces « places fortes » dont on se dit qu’il faut, continuellement, en épaissir les murailles, en bétonner les flancs et en fortifier les piliers, tout en cherchant à ne jamais s’arrêter d’en enforcir et d’en aiguiser, jalousement, chaque bout de brique et chaque bloc de pierre, depuis la paroi jusqu’au parapet, non pas parce que ces structures sont fragiles ou inconsistantes –loin de là !- mais parce qu’elles sont, tout bonnement, précieuses et indispensables.
A l’UGTT, plus forte sera la tentation de vouloir ne pas s’hasarder à changer « une équipe qui gagne », plus grand sera le défi de ne pas y céder. La centrale syndicale qui a toujours su rester un temple de l’alternance et de la démocratie, même durant les plus sombres périodes de la dictature, gagnera, aujourd’hui encore, à ne pas franchir l’irréversible et improbable Rubicon. Elle saura, à n’en pas douter, « se réinventer », comme l’a toujours voulu la tradition depuis Hached jusqu’à Taboubi ; elle, qui a toujours compté parmi ses rangs une myriade de « lieutenants », plus patriotiques et plus coriaces les uns que les autres, qui ont toujours su se montrer prêts, le moment venu, pour recevoir le flambeau, après y avoir été préparés et aguerris à travers les années et les échelons inférieurs, afin de pouvoir, un jour, commander fièrement la Forteresse.
Slim Ben Youssef