Bien plus qu’un « tournant », ce pourrait plutôt être ce qui sera peut-être considéré comme étant « l’effet Fatma M’seddi ». L’ancienne députée de Nida Tounes vient, en effet, de bénéficier d’un non-lieu au Tribunal de 1ère instance de Tunis dans l’affaire engagée contre elle par le parti Ennahdha. La plainte repose sur les déclarations de la députée, où elle pointait du doigt la route de l’apocalypse tracée par la secte pour l’envoi des jeunes « Djihadistes » tunisiens dans les tentacules de Daech.
Du coup, même ceux qui ont pris l’habitude de présumer du pire, depuis le 24 juillet, commencent à croire qu’effectivement quelque chose est en train de bouger au niveau de la Justice.
Mais, là où cela devient absolument inédit, c’est quand le pôle anti-terroriste de l’Aouina adresse des convocations dans les règles à Rached Ghannouchi, Saïd Ferjani et Rafik Abdessalem (sur ordre du parquet bien sûr) pour être entendus sur la base de la documentation présentée par Fatma M’seddi pour sa défense.
Oui, c’est en effet un tournant. Une demande oblique de la part du parquet, mais, plus que tout, une Justice qui commence à s’affranchir de l’équilibre de la terreur installé par B’hiri.
L’affaire fera son chemin. Entre-temps, imaginons-nous Fatma M’seddi bénéficier d’un non-lieu et renverser la vapeur- quelques mois en arrière ? Peut-être que si. Beaucoup que non, plutôt cela…
Nous voilà, néanmoins, en plein cœur de la question de l’heure : la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature par le Président Saied et la mise sur pied de structures pour un Conseil indépendant, quoiqu’on ait vite crié au loup : Saied se serait imposé comme « juge suprême » !
Même les partis d’obédience démocrate se sont alignés contre le Président. Or, ils se trouve que ce sont ces mêmes partis et ces mêmes sensibilités qui dénonçaient farouchement les pratiques de « l’ancienne justice » ; et plus les dénonciations gagnaient en intensité, et plus l’ordre des templiers islamistes se consolidait.
Bien entendu, nombreux sont ceux qui croient que, comme Ben Ali, Saied, à force de vouloir démanteler Ennahdha, finirait par (re) faire le lit de l’islam politique, si ce n’est d’un obscurantisme d’un nouveau type. Raisonnement qui pourrait tenir la route, puisque la mouvance a survécu à toutes les répressions. Sauf que, si l’hydre n’est pas totalement décapitée, et que si les obscurantismes « rejailliront au nom de la démocratie et contre la dictature », comme le déclare Rached Ghannouchi, ils le devront aux grandes Démocraties occidentales. En fait, c’est comme cela que finissent les démocraties, pour évoquer le fameux ouvrage de Jean François Revel. Elles finissent quand elles s’acoquinent avec les extrémismes de tout acabit.
Raouf Khalsi