Au cours des dernières décennies, l’Asie du Sud-Est était synonyme de dynamisme économique, d’opportunités et de croissance. C’était notamment le cas des six plus grandes économies de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE-6), à savoir l’Indonésie, la Thaïlande, Singapour, la Malaisie, le Viêt Nam et les Philippines. En effet, les économies de l’ANASE-6 ont affiché des performances supérieures à celles de la plupart des autres pays en termes de croissance du PIB et d’autres indicateurs d’activité jusqu’au début de 2020. Toutefois, cette situation, qui remonte à plusieurs décennies, a connu un changement notable avec le revirement engendré par la pandémie de la Covid-19. Après le choc occasionné par la propagation mondiale de la Covid-19, les pays de l’ANASE-6 sont devenus des traînards plutôt que des leaders en termes de performance économique à court terme.
Les économies avancées ont connu une reprise rapide après la pandémie. Cette année, soit environ deux ans après le pic du choc de la pandémie, lorsque les activités ont sombré dans une profonde récession, les États-Unis et la zone euro prévoient déjà d’atteindre ou de dépasser sensiblement la tendance de leur PIB avant la pandémie. En revanche, la plupart des économies de l’ANASE-6 sont toujours nettement moins performantes que durant la période précédant la pandémie. La seule exception notable est le Viêt Nam, qui a moins souffert de la pandémie grâce à des politiques efficaces visant à contenir la propagation du virus en 2020 ayant également bénéficié d’une forte demande mondiale en produits manufacturés.
Estimations actuelles comparées aux estimations pré-pandémiques du PIB en 2022
(écarts en % par rapport à la tendance pré-pandémique en termes de PIB cumulé)
Il convient de souligner que les écarts de croissance entre les pays de l’ANASE-6 et les économies avancées sont devenus négatifs en 2021 et devraient encore être nettement inférieurs aux normes historiques en 2022 par rapport à leurs prévisions de croissance en 2019 pour 2022, si la pandémie ne s’était pas déclarée. Les écarts ont chuté de 289 points de base (pb) au cours de la décennie précédant la pandémie à environ 98 pb prévus pour cette année, après avoir plongé dans une situation défavorable au cours de l’année écoulée. Cela signifie qu’en moyenne, en 2021, les pays de l’ANASE-6 ne croissent qu’environ 1 % plus vite que les économies avancées, au lieu des 2,89 % de sur-performance habituelle. Des écarts de croissance plus réduits indiquent un rattrapage ou une convergence de croissance plus lents vers les niveaux plus élevés de production économique, de productivité et de niveau de vie observés dans les économies avancées.
Écarts de croissance entre les pays de l’ANASE-6 et les économies avancées (écarts en points de base)
À notre avis, trois facteurs expliquent les faibles performances récentes des pays de l’ANASE-6.
En premier lieu, les différences de taux de vaccination entre l’ANASE-6 et les économies avancées ont une incidence sur le rythme de la reprise. Les programmes de vaccination ont progressé de manière significative dans les économies avancées depuis le début de l’année 2021, tandis que le démarrage de la vaccination a été plus lent dans les pays de l’ANASE-6. De ce fait, les pays de l’ANASE-6 ont été plus vulnérables aux variantes plus infectieuses de la Covid-19, telle que le Delta.
Les propagations du virus et la nécessité d’y répondre ont nécessité plusieurs séries de mesures de distanciation sociale plus strictes dans les pays de l’ANASE-6, empêchant une reprise stable et engendrant un modèle d’activité « discontinu » peu propice. Omicron, bien qu’encore plus infectieux que Delta, n’a jusqu’à présent entraîné que de légères restrictions de mobilité au sein des pays de l’ANASE-6.
Secundo, l’évolution actuelle des performances économiques relatives par rapport aux normes historiques entre les pays de l’ANASE-6 et les économies avancées est associée à une marge de manœuvre différente en matière de politique monétaire et budgétaire. Les pays de l’ANASE-6, et en particulier les pays à revenu moyen et faible, disposent d’une marge de manœuvre réduite pour relancer leurs économies en périodes de récession. Avec des institutions économiques plus faibles et des fonds propres moins importants, la plupart des pays de l’ANASE-6 ne disposaient pas des ressources nécessaires pour soutenir leurs ménages et leurs entreprises comme le faisaient les économies plus avancées. Si les autorités économiques ont protégé le bilan du secteur privé de la crise pandémique dans les économies avancées, il n’en a pas été de même dans les pays de l’ANASE-6. Par conséquent, un secteur privé plus touché dans les pays de l’ANASE-6 mettra plus de temps à retrouver les niveaux de consommation et d’investissement d’avant la pandémie que ses pairs des économies avancées. En d’autres termes, le secteur privé des économies avancées a été stimulé à la fois par les dépenses et l’épargne après la pandémie, en raison de l’importante manne des transferts gouvernementaux et d’autres avantages politiques. A contrario, le secteur privé des pays de l’ANASE-6, confronté à des niveaux d’incertitude plus élevés et à un soutien politique moindre, a comprimé ses dépenses et, dans certains cas, a même puisé dans son épargne pour couvrir les pertes de revenus.
Tertio, le ralentissement en Chine est un vent contraire particulièrement fort pour les pays de l’ANASE-6, en raison de leurs relations commerciales et financières directes et indirectes. La croissance chinoise a un effet multiplicateur important, qui se répercute souvent au niveau mondial et dans les pays de l’ANASE-6. C’est notamment le cas des fabricants exportateurs de la « Factory Asia », tels que la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam, et des producteurs de produits de base, comme l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines. Ainsi, le ralentissement actuel de la croissance en Chine, précipité par un important durcissement des politiques monétaires, fiscales et réglementaires, a indirectement affecté les performances économiques des pays de l’ANASE-6. La croissance du PIB chinois a chuté de plus de 18 % en glissement annuel (g/a) à son plus haut niveau au premier trimestre 2021 à 4 % au quatrième trimestre. Cette situation représente une toile de fond très négative pour la croissance dans les pays de l’ANASE-6.
En somme, un démarrage plus lent de la vaccination massive, une politique moins stimulante avec moins de dépenses, une diminution des investissements et de l’épargne ainsi qu’un ralentissement de la Chine expliquent la période actuelle de sous-performance des pays de l’ANASE-6. Toutefois, nous estimons que ce phénomène sera de courte durée. Les causes des écarts de performance observés au cours des derniers trimestres commencent déjà à s’estomper. Les programmes de vaccination se sont intensifiés dans les pays émergents d’Asie, les économies avancées ont commencé à resserrer leurs politiques et la Chine a annoncé qu’elle était prête à relancer lentement son économie. De ce fait, les performances relatives devraient commencer à converger vers les normes historiques en 2023 et 2024.