Heureusement que le ridicule ne tue pas. Rappelons que l’industrie du papier est confrontée, depuis quelques temps, à plusieurs difficultés, et a toujours subi « les caprices » des fluctuations des prix du pétrole, tout autant que la dépréciation constante du dinar et son positionnement par rapport à l’Euro et au Dollar, chose qui a entraîné une hausse vertigineuse au niveau des prix et menace l’impression des manuels scolaires dans les délais outre de nombreuses autres difficultés. Quelle est la situation de nos imprimeurs actuellement ? Et quel est l’idée de génie de notre gouvernement pour remédier à la situation ?
Le Centre national pédagogique (CNP) a publié, un appel d’offres national pour l’impression des manuels scolaires pour l’année scolaire 2022-2023. Le montant estimé par le CNP est de 28,3 millions de dinars, se basant sur le marché de l’année écoulée. Après consultation des offres reçues par les imprimeurs, le CNP a constaté une hausse vertigineuse des prix qui auraient atteint, d’après un communiqué du ministère de l’Education, autorité de tutelle, les 63 millions de dinars. Vu le contexte actuel de l’envolée des prix du papier partout dans le monde, les imprimeurs sont face à une situation perplexe et hors de contrôle à leur niveau. Même si la logique du trust y prévaut…
Le pour et le contre
Le CNP n’ayant pas le budget nécessaire et refusant de faire supporter le surcoût par le consommateur final, sachant qu’auparavant, une hausse de 8,34% a été enregistrée en 2021 au niveau des prix de vente des manuels scolaires. L’augmentation des prix étant dictée par l’impératif de régulariser les prix qui sont restés les mêmes depuis 2008, le CNP, a fini par saisir son ministère de tutelle qui a fait saisir, à son tour, la présidence du gouvernement. La solution trouvée, après longues réflexions et consultations : lancer un appel d’offre international.
Cet appel a, bien évidemment, suscité la colère des imprimeurs tunisiens surtout que, d’après eux, les imprimeurs étrangers vont bénéficier d’une exonération de la TVA à laquelle ils n’ont pas droit. Le président de la Chambre nationale des fabricants du livre scolaire, Samir Graba, a dénoncé à son tour cet appel d’offres international lancé par le CNP et adressé à des imprimeurs étrangers, estimant qu’il porte un coup dur aux imprimeurs tunisiens et appelant ainsi à une action urgente pour l’annuler et empêcher l’impression de manuels scolaires moyennant des devises, notamment à la lumière de la situation économique difficile que traverse le pays.
Déjà, les imprimeurs, particulièrement les moyens et les petits d’entre eux, doivent souscrire à des emprunts bancaires pour pouvoir participer aux appels d’offre dans les délais impartis pour tenter d’arracher, un ou deux lots de manuels à imprimer. Ce qui permettra à leur entreprise de survivre, surtout que le règlement financier de la quote-part du CNP et de la Caisse de compensation, n’a lieu que plusieurs mois après la remise des livres imprimés. Ce qui augmente les intérêts bancaires.
Cette idée d’importer en devises plutôt que de chercher à résoudre le problème sur le plan local est discutable, sachant que les imprimeurs emploient 4200 personnes en direct et indirect. En les privant de ce marché, l’Etat menace ces emplois. Sans parler de la dilapidation des devises. Et le comble, c’est que l’Etat impose une TVA de 19% dont il exonère les imprimeurs étrangers. Ces derniers, sont au final beaucoup plus avantagés surtout que plusieurs d’entre eux produisent leurs propres papiers. En fait, la Tunisie ne produit plus de papier pour la troisième année consécutive, ce qui l’oblige à l’importeret et ce, depuis la fermeture de l’usine à papier de Kasserine, il y a plus de deux ans. Cette fermeture est la conséquence du désengagement de la part des autorités publiques d’allouer les fonds nécessaires aux travaux de réparation d’une chaudière thermique dysfonctionnelle achetée auprès d’une entreprise turque, tient lieu d’une politique délibérée qui a visé à la fermeture de la Société nationale de cellulose et de papier alfa (SNCPA), avant de la concéder au privé. Cette société était depuis 2008 en proie à des problèmes techniques et commerciaux, en cause de la vétusté de ses équipements et de ses unités de production. Mais bien qu’elle employait 900 travailleurs directs dont 150 cadres et contribuait à 6000 emplois indirects, elle a fini par fermer.
Subventions et Caisse de compensation
Samir Graba a, par ailleurs, affirmé que la Caisse de compensation sera contrainte d’assumer des charges supplémentaires pour subventionner le livre scolaire pour la prochaine rentrée scolaire 2022-2023, si les autorités ne décident pas l’augmentation des prix de ces livres. Il a ajouté que l’Etat s’est engagé à assumer ces charges, malgré la hausse, sans précédent, des prix du papier, indiquant, ainsi, qu’une augmentation de 500 millimes du livre scolaire pourrait résoudre ce problème pour la prochaine année scolaire. Sauf qu’une nouvelle hausse sera assurément considérée comme un coup de canif supplémentaire dans le portemonnaie des ménages. Elle ne manquera pas de provoquer des remous à une période où le pouvoir d’achat des Tunisiens est mis à rude épreuve. C’est d’ailleurs ce qui expliquerait la réticence des autorités à augmenter les prix de vente au public encore une fois pour cette année.
Quel qu’il en soit, rien ne justifie le recours du gouvernement Bouden à un appel d’offre international faisant fi de la situation épineuse actuelle du pays. Et c’est le cumul de telles décisions insensées sur tous les plans, qui nous mènent droit à la faillite de l’Etat et à la dégringolade.
Leila SELMI