Prendrait-il plaisir à narguer son monde, à le dérouter, ou cherche-t-il à s’assurer que le prochain coup sera décisif ? Kais Saied serait-il aussi dans l’attentisme fébrile, hormis une assurance de « force tranquille » qu’il affiche, mais qui n’exclut pas de grands débordements coléreux contre ceux qui ont fait du tort au peuple et à l’Etat. La manifestation de d’hier l’a exprimé, tout en symbiose avec ses positions.
Nous sommes décidément dans la logique d’un pouvoir concentré entre les mains d’un seul homme, et cette logique est implacable. De fait, on ne savait pas, début, qu’allait faire le Président du coup renversant du 25Juillet, pas plus que nous ne pouvions présumer de ses réelles intentions. Et, comme c’est la pratique partout dans le monde lorsqu’on bascule dans l’expectative, sinon dans les incertitudes, c’est le flux de spéculations qui prend forme, jouant sur le métabolisme sociopolitique et faisant en sorte que chacun y voie l’accomplissement de ses désirs, sinon de ses fantasmes.
Entre intox, fake-news, signes qui chuchotent et d’autres qui parlent, Kais Saied a tout l’air de vouloir interpeller l’imaginaire collectif.
Peut-être est-il taraudé par le questionnement shakespearien du « être ou ne pas être » ; possible aussi qu’il se remette lui-même en question, sans pour autant remettre en cause les raisons (justes) l’ayant conduit à tout balayer d’un revers de main. Cela paraissait évident, mais ce n’était pas facile. Démanteler un Etat profond, cela aussi relève de la jonglerie.
Maintenant, il faudra bien que nous soyons édifiés sur la nature du régime que Saied conçoit dans son esprit et les mécanismes dont il compte user pour y parvenir. En tous les cas, il est dans sa « légitimité », en opposition à une « légalité » toute inféodée à des intérêts dont on sait où ils ont mené la pays.
De fait, si vraiment il lance des ballons d’essai pour tester l’humeur de la rue, les espérances du peuple et, pour tout dire, notre roman des origines, c’est qu’il est plutôt dans la sociologie politique et qu’il essaie, à travers elle, d’interpeller la mémoire collective, sinon l’imaginaire collectif.
Si nos amis de l’étranger s’impatientent, craignant des relents dictatoriaux de la part de Saied, les Tunisiens sont plutôt impatients de s’assurer que le démon a été chassé à tout jamais.
Voilà donc, le nœud gordien : quel régime ?
Si l’on devait rechercher la réponse auprès des partis politiques, on s’aventurerait dans des méandres interminables. Présidentiel ? Parlementaire ? Amalgame des deux ? Ce qui est sûr c’est que notre parlementarisme marron a conduit le pays à sa perte. Réhabiliter le régime présidentiel, dépeint comme « un monstre » en référence à nos anciennes dictatures, fait aussi frémir plus d’un.
Plutôt que de lancer des ballons d’essai, le Président serait plus inspiré d’impliquer le peuple dans ce choix. Feuille de route? Référendum? Elections anticipées?
Entre temps, il nomme Najla Bouden, Cheffe du gouvernement, et non premier ministre. Il lui faudra du temps pour former une équipe de choc. Parce que le pays fait face à de sérieuses urgences.
Le Président joue-t-il sur le temps? Sur l’usure de ses adversaires? Justement, l’ordre nouveau n’attend pas.
On a bien vu que la morale publique est en train de retrouver certaines valeurs. Sauf que bien des cadavres sont encore dans les placards.
Raouf khalsi