« Après la révolution, les femmes tunisiennes se sont dressées contre toutes les tentatives rétrogrades. Mais le combat continue. »
La Tunisie célèbre, aujourd’hui, la fête nationale de la femme tunisienne. 56 ans se sont écoulés, depuis l’adoption du « Code du statut personnel », datant du 13 août 1956, qui abolissait la polygamie, interdisait le mariage forcé et permettait le divorce…56 ans ont fait que la Tunisie soit l’exception dans le monde musulman…Depuis 1956, la femme tunisienne s’est battue bec et ongles pour arracher ses droits en menant tout un combat contre une société misogyne. Aujourd’hui, la femme tunisienne malgré tous ses acquis et combats, est encore loin… elle a encore du chemin à faire pour s’arracher une place.
A cette occasion, le Temps a eu un entretien avec la célèbre écrivaine tunisienne, enseignante universitaire et activiste dans la société civile, Olfa Youssef, qui a toujours porté la cause féminine, en luttant contre les stéréotypes de la société et en défendant les acquis de la femme.
Le Temps : Pensez-vous que la femme tunisienne, dix ans après la révolution, a pu arracher ses droits ?
Olfa.Youssef : La femme tunisienne n’a pas attendu la révolution pour avoir ses droits. Au début de la révolution, il y a eu des tentatives pour revenir en arrière et pour enlever à la femme ses droits qu’elle s’est octroyé à travers le code du statut personnel. Mais, heureusement elle s’est accrochée et a tenu bon.
De ce fait, la femme tunisienne après la révolution n’a pas arraché ses droits mais a réussi à les garder et à sauvegarder ceux dont elle jouissait depuis 1956. Ceci dit, il y a encore du chemin à parcourir. A travers ce qu’on voit aujourd’hui sur le terrain, la femme tunisienne a besoin de beaucoup de travail et d’abnégation. D’ailleurs, toute la société en a besoin pour promouvoir davantage les droits des femmes qui semblent sur le plan social et au niveau des mentalités, régresser un tant soit peu, ces dernières années.
Comment évaluez-vous, à cet égard, la scène politique de ces dix dernières années ? Pensez-vous que les tunisiennes ont mené à bien leur combat contre tous ceux qui leur ont cherché noise ?
Je ne veux pas tomber dans la généralisation, femmes et femmes tunisiennes. Il y a bon nombre de tunisiennes qui ont lutté pour garder leurs acquis. D’ailleurs, il y a eu pas mal de manifestations qui avaient pour objectif d’instaurer l’égalité entre hommes et femmes et contre tous ceux qui lui déniaient cet état de fait.
Il y a des femmes qui ont mené, sans se lasser, et sans jamais se laisser démonter, ce combat au quotidien. D’autres ont bataillé au sein des associations et, mille et une conférences ont été organisées sur ce thème, afin de ne pas laisser la place, au silence et au vide, dont se seraient bien accommodés les tenants d’un ordre rétrograde, aux antipodes.
Il y a aussi, par ailleurs, les créations littéraires, filmiques ou théâtrales, qui se sont attelées à perpétuer, en le vulgarisant, le legs Bourguibien, en matière des droits des femmes.
En revanche, et ce qui fait moins plaisir, il y a eu résurgence de femmes tunisiennes, qui ont préféré rallier les islamistes, en leur mâchant le travail qui plus est. Cette catégorie de femmes, d’une certaine manière, appartient au cercle des « soumises consentantes » ; faisant le lit de tous les obscurantismes, qui allaient permettre la confiscation autant de leurs droits, que de leurs libertés fondamentales. En somme, l’égalité : hommes-femmes, en tant que notion, culture et manière d’être, ne leur disait rien qui vaille.
Cela étant, et si l’on prenait l’exemple d’une Abir Moussi : a votre avis, est-ce qu’il faudrait parler, à son égard, de phénomène sonore ou d’une réelle incursion, dans un champ, toujours miné, pour évoluer dans le sens de davantage de droits et d’acquis, pour la femme tunisienne ?
Il faudrait avoir la mémoire courte, et se montrer extrêmement ingrat, pour ne pas confirmer le fait, que, Abir Mouss,i était effectivement, parmi les premières députés à s’opposer ouvertement et fermement à Ennahdha. Bien sûr, il y’en a eu d’autres. Mais c’est surtout elle qui a pris beaucoup de risques en prêtant le flanc, à toutes les attaques, et à toutes les calomnies, en opposant une résistance farouche, à tous ses détracteurs. D’ailleurs ce qu’on a vu le 25 juillet est, en grande partie, l’aboutissement d’une lutte menée, de main de maître, par AbirMoussi. Mais, encore une fois, elle n’était pas la seule, depuis 2011, à se faire le porte-étendard, de la cause des femmes. Un travail collectif, qui a largement porté ses fruits.
Sans transition, que pensez-vous de ce qui s’est passé, un certain 25 juillet 2021 ? Et comment envisagez-vous la prochaine étape ?
C’est un événement marquant ; dans le sens où, la décision était de couper court avec tout un système corrompu. Un système qui a mené notre économie à la faillite et qui a fait que la Tunisie régresse sur tous les plans… économique, social, éducatif.
J’estime qu’il était temps de rompre avec ce système. Je trouve aussi que c’est une décision très intelligente, étant donné que ce qui se passe maintenant est un changement calme, réfléchi, et qui prend son temps. Il faut laisser du temps au temps, comme disait l’autre.
Evidemment, on ne peut exclure le risque de violence. Comme le disait Chokri Belaid : le mouvement islamiste quand il est coincé, a recours à la violence. Mais, au-delà de tous ces facteurs, l’islamisme est sur le déclin et la manière d’agir, jusqu’à maintenant, est bonne. Le Président a fait dans la mesure, et il n’y a pas eu une « chasse aux sorcières », irraisonné et impartiale, comme cela a été le cas dans d’autres pays.
Nous ne sommes pas face à un coup d’état, nous sommes face à un mouvement de sauvetage pour la Tunisie. Je pense que petit à petit, dans quelques mois, on y verra plus clair, grâce aux jeunes et grâce aux femmes tunisiennes, qui sont toujours à l’avant-garde de tous les combats.
Qu’est qu’il faut faire pour changer les mentalités en Tunisie à l’égard de la femme ?
C’est un travail de longue haleine. La plupart des politiques cherchent des résultats immédiats parce qu’ils pensent aux prochaines élections et pas à la prochaine génération. Le travail des mentalités est un travail de moyen et longs termes. C’est un travail sur la culture, l’éducation, les mass médias… En effet, c’est très important de changer la vision de la société en Tunisie parce qu’on se vante toujours que la Tunisie est un pays qui a les meilleures lois pour protéger les femmes, sauf qu’il y a quand même, au niveau de la réalité du terrain, encore à boire et à manger.
Il faut admettre qu’une société misogyne est une société qui se punit elle-même. La misogynie est un symptôme pathologique qui exprime le fait que l’homme lui-même a des problèmes psychiques et psychologiques. Quelqu’un qui use de la violence est quelqu’un qui n’est pas bien dans sa peau. Quand on est misogyne il n’y a pas de notion de citoyenneté ni d’égalité. Par ailleurs, on ne peut pourra pas accéder à la modernité tant qu’on continuera à discuter encore de l’égalité entre l’homme et la femme, et d’égalité dans la citoyenneté. Cela étant, on est encore loin du compte, pour ce qui concerne les textes de lois, qui sont à revoir.
Pour en revenir à Olfa Youssef, l’écrivaine : y aurait-il un projet de livre, en vue ?
Oui, je travaille sur quelques projets de livres. Ce sont des travaux plutôt originaux dans un domaine qui est en relation avec ce que j’ai fait mais là, j’aborde les choses, différemment. Ne déflorons pas la fleur de mon secret…
Si vous aviez un message, à adresser à la femme tunisienne à cette occasion ? Quel serait-il ?
Femmes, ne tolérez jamais la violence qui peut s’exercer contre vous. Peu importe le prétexte, la conjoncture, ou le lieu. Ou celui qui s’est arrogé le droit, de vous violenter.
Respectez-vous, respectez votre corps et votre être ! Vous êtes l’avenir de l’homme.
Propos recueillis par : Linda Megdiche