L’audiovisuel chambardé…
Question cruciale : la Tunisie, dont la production audiovisuelle est pour le moins que l’on puisse dire « famélique », peut-elle s’adapter, aujourd’hui, à ce qu’on pourrait désormais appeler la « révolution des plateformes » ? Une chose est sûre : la demande, voire la « soif » des Tunisiennes et des Tunisiens de consommer des productions audiovisuelles locales dépasse de loin –de très loin- l’offre disponible actuellement sur le « marché ». D’une part, une production audiovisuelle, condensée seulement au ramadan mais qui se fait quasi nulle au cours de l’année. D’autre part, un marché des plateformes numériques de diffusion audiovisuelle (films et séries) qui fait encore ses premiers pas en Tunisie. Tâtonner serait d’ailleurs le mot juste…
Que l’on soit clair : la révolution des plateformes numériques, en général, et de celles de diffusion audiovisuelle, en particulier, a commencé depuis bien longtemps dans le monde. Une « révolution Netflix », serait-on tentés de soutenir, vu que la fameuse plateforme de diffusion américaine a complétement chamboulé le monde de l’audiovisuel, son industrie et ses modes de réception. Conséquence inéluctable : un foisonnement spectaculaire de plateformes de diffusion audiovisuelle, tantôt gratuites tantôt payantes, tantôt légales tantôt clandestines, qui ont littéralement envahi le « grand village du monde » qu’est le web.
Le « très petit écran »
Un modèle économique, stimulé surtout par l’avènement du smartphone en tant que « très petit écran » de réception pour les œuvres audiovisuelles, battant désormais toute concurrence face au traditionnel « petit écran » qu’est la télé et du séculaire « grand écran » qu’est le cinéma.
On va se dire que la Tunisie est, seulement, un tantinet en retard. Mis à part, bien sûr, les sites de rediffusion et de streaming gratuit, en « mode piratage », qui s’épanouissent dans notre pays, depuis belle lurette, (pratiquement depuis les années Ben Ali), bien protégés, en réalité, par une législation bien trop clémente, et ce, heureusement, pour le plus grand bonheur des internautes tunisiens.
En Tunisie, on compte, aujourd’hui et à notre connaissance, pas moins de trois plateformes spécialisées en diffusion audiovisuelle, et qui font leurs premiers pas dans le marché : Artify, Watch Now et la dernière en date, cette fameuse samifehri.tn qui a créé pratiquement le buzz ces derniers jours. Reste que pour saisir, réellement, l’ampleur de la chose sous nos cieux, il nous a fallu, dès les premiers jours du ramadan, qu’un feuilleton télévisé, rediffusé en exclusivité sur la plateforme en question, puisse générer ce qu’on pourrait qualifier, désormais, de « choc ».
Il n’y a même pas lieu de douter de l’ampleur du phénomène, lorsque plus d’un million de Tunisiennes et de Tunisiens arrivent, en –seulement- une demi-heure de temps, à bloquer, d’abord par intervalles, une plateforme de rediffusion de feuilletons (Watch Now), et, puis carrément pour des jours, à en dérégler résolument une autre (samifehri.tn), et tourner par-là même en dérision son fondateur, qui peut se montrer, parfois, un peu trop vantard… soit dit en passant, mais dont l’esprit d’initiative et surtout la maîtrise du buzz audiovisuel ne sont plus à démontrer. Plateforme déréglée par les internautes ? Eh bien, à force de vouloir y accéder toutes et tous, en masse, tout à trac et en même temps, afin de consommer ce qui, pourtant, aurait pu l’être tranquillement et qui plus est en famille, devant un téléviseur, une demi-heure plus tôt.
Diktat de la publicité
Première considération sur ce point : qu’on veuille l’admettre ou pas, soyons au moins francs, car les Tunisiens ne veulent justement plus consommer de l’audiovisuel en famille ! Grands consommateurs de séries et de films étrangers, et ce tout au long de l’année, les Tunisiens ont toujours été conditionnés, à l’échelle locale, par une production télévisuelle diffusée seulement au ramadan, et qui se trouve elle-même conditionnée par les « exigences » de ce « mois saint », et à qui on blâme chaque année leur manque de « fraicheur » et « d’audace » … visionnage en famille oblige. Un hic, justement, que les plateformes numériques prétendent surmonter. Ce qui nous amène tout droit à la deuxième considération, et c’est justement là que le bât blesse : cette production audiovisuelle est entièrement conditionnée par… le marché publicitaire.
Ce « diktat » de la publicité, serions-nous tentés d’étiqueter, qui « impose », d’une manière franche en réalité, aux chaines télé de condenser toute la production tunisienne pendant le mois de ramadan. Le hic majeur, c’est que ce marché de la publicité, capitaliste par défaut, est foncièrement conservateur. Autrement dit, pourquoi changer des « habitudes » qui ont toujours réussi, et ce, depuis des décennies, à générer des gains certains et indéniables ? Pourquoi investir, voire « miser » sur le courant de l’année, alors que « l’on ne soit pas si sûr » des résultats d’un tel « pari » ?
Répétons-le : les Tunisiennes et les Tunisiens sont de très grands consommateurs de productions audiovisuelles. Il suffit que le secteur de la Pub ait seulement du « courage » d’investir sur le long de l’année. Et, sur ce point-ci, c’est aux nouvelles plateformes de diffusion, en effet, d’affiner leurs arguments.
Slim BEN YOUSSEF