La BCT réagit à l’inflation galopante par une hausse conséquente au niveau du taux d’intérêt directeur de 75 points de base à 7,0%. Cette décision est entrée en vigueur à partir du 18 mai 2022. Une telle mesure entraînera plus de difficultés aux entreprises ainsi qu’aux ménages endettés auprès du système financier. Par cette action, le Conseil vise à contrer les tensions inflationnistes qui se profilent à l’horizon de prévision, et à éviter une accélération de l’inflation et une accentuation du déséquilibre extérieur. A ce titre, l’analyste économique et l’ancien ministre du Commerce Mohsen Hassen, a déclaré au Journal le Temps que la guerre contre l’inflation doit être l’affaire de tout le monde (BCT et gouvernement). Il a souligné que la récréation est réellement finie soit pour combattre l’inflation, soit pour sauver notre économie et nos finances publiques. « Il faut être réaliste. Notre pays est en danger au niveau économique », a-t-il indiqué.
L’économie mondiale a subi deux chocs importantes assez graves : le premier est du à la crise du COVID et le deuxième est du essentiellement à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ces deux chocs ont engendré une vague d’effets inflationnistes. Notre pays, précise l’économiste, au gré des autres pays du monde, a subi l’impact des deux crises mais avec une troisième crise liée à la situation politique et à des causes structurelles.
Et d’ajouter : « Il faut dire que les origines de l’inflation en Tunisie sont des facteurs exogènes qui sont dues essentiellement à la hausse des prix de pétrole, la hausse des produits céréaliers. L’augmentation des tensions inflationnistes en Tunisie a pour cause les problèmes structurels. L’offre nationale n’est pas suffisante pour répondre à la demande croissante. Les circuits de distribution ne sont pas aux niveaux nécessaires. Le contrôle économique ne joue pas son rôle par insuffisance de moyens. En plus des facteurs exogènes, il y a des facteurs structurels spécifiques à la Tunisie (notre appareil de production n’arrive pas à répondre à nos besoins). L’origine monétaire de l’inflation est claire partout dans le monde. Toutes les banques centrales, la réserve fédérale, la Banque Centrale Européenne et la Banque Centrale de Tunisie aussi, ont adopté des politiques monétaires expansionnistes ».
Impact de l’augmentation du taux directeur
Toujours M. Hassen la BCT a procédé à la solution la plus simple à savoir l’augmentation du taux directeur : « Ça pourrait être la solution. Le résultat immédiat, c’est l’augmentation des différents taux du crédit bancaires (TMM…). Le coût de l’emprunt devient excessif. Par conséquent, la consommation va baisser. C’est l’objectif même de cette mesure. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne qui est très endettée vis-à-vis du système bancaire va régresser. A court terme, le résultat pour les ménages est négatif mais à moyen et long terme, on pourra récolter un petit peu le résultat positif de cette politique monétaire qui consiste à augmenter les taux directeurs ».
Et de poursuivre : « Pour les entreprises, cette mesure qui vise à contrer l’inflation va engendrer la hausse des charges financières et des charges d’emprunt. Ceci va décourager les investissements. L’impact sera à court terme négatif ».
Arrêter l’importation des biens de consommation, ça urge
Toujours selon notre interlocuteur, la BCT doit veiller à la stabilité du dinar. L’institut d’émission, malgré la rareté de nos ressources devises, doit intervenir pour injecter la liquidité en devises à chaque fois où on prévoit une baisse du dinar. Et d’expliquer : « Pour réduire les effets inflationnistes, on doit agir sur le taux de change. C’est vrai que le FMI n’aime pas ça, mais c’est à nous de défendre notre souveraineté monétaire et de défendre notre monnaie locale en ce moment difficile. La deuxième recommandation, c’est d’arrêter immédiatement l’importation des biens de consommation afin de réduire l’impact de l’inflation importée. Toutes les conventions internationales, multilatérales ou bilatérales, permettent de prendre des mesures restrictives au niveau du commerce international en période de crise ».
L’Etat doit revoir ses priorités
« Combattre l’inflation signifie une coordination totale quotidienne entre la BCT et le gouvernement. Il faut constituer un « Task Force » : une équipe de spécialistes pour prendre les mesures nécessaires et coordonner la politique monétaire et budgétaire afin de réduire cet effet inflationniste qui risque de générer des problèmes sociaux. Le gouvernement ne doit pas laisser la BCT seule face au fléau de l’inflation. Il faut agir en termes de l’offre. L’Etat doit revoir ses priorités en termes d’entreprises publiques et en termes de dépenses publiques », souligne M. Hassen.
Il faut éviter la dépréciation choquante du dinar
L’économiste a précisé que le dernier rapport de la Banque Mondiale (BM) a bien expliqué que cette tendance haussière du taux d’inflationqui va continuer jusqu’au fin 2023. Et de poursuivre : « La baisse ne sera connue qu’à partir de 2024 et les retombés de la guerre en Ukraine sont durables et structurelles. Pour la Tunisie, je prévois un taux d’inflation à deux chiffres. C’est pour cela, j’appelle les autorités monétaires et le gouvernement à mettre la main dans la main pour élaborer une stratégie à court, moyen et long termes pour réaliser deux objectifs : éviter une crise sociale profonde et garder un niveau minium de compétitivité de notre économie nationale ».
M.Hassen a conclu que l’augmentation du taux directeur est un mal nécessaire mais insuffisant. « Je recommande d’autres mesures de la part de la BCT. Il faut éviter la dépréciation choquante du dinar », a-t-il affirmé.
Khouloud AMRAOUI