Par Raouf KHALSI
« Nous n’avons besoin ni d’une Algérie trop forte, ni d’une Algérie trop faible ; dans les deux cas, malheur à la Tunisie… ». Bourguiba le répétait assez souvent dans les coulisses. Mais la Tunisie a besoin de l’Algérie, tout court. Tant sur le plan économique que géostratégique. Quelque part, nous sommes dans la position peu enviable de qui est pris en sandwich : une Algérie qui veut être le satellite du Maghreb, malgré le différend « historique » avec le Maroc, d’un côté. Et une Libye qui n’en finit pas de faire planer le spectre de la division, tant sur la Tunisie que sur l’Algérie elle-même.
Sauf qu’aujourd’hui, si la Tunisie en est réduite à observer de manière alerte les soubresauts libyens, elle ne saurait, en revanche, se permettre des frictions avec Alger.
Or, que s’est-il produit, depuis les effusions sentimentales entre Saied et Tebboune, au lendemain du 25juillet ?
Le téléphone ne sonne plus
Les deux hommes ne communiquent plus depuis un certain temps. Alger ne se décide d’ailleurs pas à rouvrir ses frontières avec la Tunisie (en dehors du strict minimum pour les petits flux commerciaux). Au point que l’on ne sait toujours pas si, après deux années de désertion pour cause du Covid, « nos deux millions d’Algériens » viendront passer leurs vacances estivales chez nous. Flou politique ? Alger couperait-elle les ponts ? En tous les cas, aucune réaction ne vient de Carthage…A croire que c’est l’expectative. Pas plus qu’il n’y ait eu de franche explication entre les deux chefs d’Etat « amis », sinon « frères »…
Les médias occidentaux auront bien disséqué ce qu’a dit Tebboune à Rome. « Nous sommes prêts à aider la Tunisie à sortir de la situation dans laquelle elle a sombré » …Le mot « sombré » sonne déjà comme une sent ence. Mais Tebboune y rajoute une « venimeuse » hyperbole : « …Tout autant que la Libye voisine ». Décryptez : « sombré tout autant que la Libye voisine ». L’Italie est contente : elle est assurée de bénéficier des vannes gazières algériennes, tout autant que de l’appui algérien à ses prétentions « historiques » sur la Libye.
« Institutions démocratiques » ?
Réflexe dissociatif de la part de Tebboune ? Celui qui appuyait Saied dans le coup du 25juillet, se ravise maintenant de parler de l’impératif à rétablir les institutions démocratiques en Tunisie… « Démocratiques » ? Viserait -il l’ARP ? Sinon, tout le processus du référendum ?
Il est clair que Tebboune n’a jamais vu d’un bon œil la proximité entre Essissi et Saied , quoique la Tunisie soit sortie des radars égyptiens, puisque les positions de Saied contre Israël dérangent.
Dans sa « Lettre du Maghreb », Benoît Delmas parle du souci algérien de sécuriser ses frontières face au risque d’exode des Tunisiens en chômage, tout autant que celui d’infiltration de terroristes djihadistes, dès lors que l’étau se resserre autour d’eux en Tunisie. On oublie, néanmoins, que la Tunisie a vécu dans le même syndrome durant la décennie noire algérienne.
Il se peut aussi que de vieux quiproquos remontent à la surface. On n’a toujours pas digéré les propos de Béji Caïd Essebsi et ses propos sue le Harak : « Les peuples ont le droit de manifester contre leur gouvernance ». Il pouvait s’en passer.
On comprendrait le souci de Tebboune de voir la Tunisie se stabiliser. Sans doute, sait-il que, si la toute petite Tunisie « flambe », c’est toute la région qui s’embrase.
Sauf que cette rupture de communication avec Carthage, du reste indirectement reconnue à Rome, donne à réfléchir. Car, n’oublions pas : Tebboune prenait indirectement position contre les injonctions de Macron à l’endroit de Saied. S’attendait-il à autre chose du 25 juillet ? Et qu’entend-il par « rétablissement de la démocratie » ?
Kais Saied n’a pas réagi. Oui, mais c’est tout de même l’Algérie…