L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a organisé hier un imposant meeting au palais des congrès à Tunis. Objectif : mobiliser ses troupes à quelques jours d’une grève prévue dans le secteur public, et adresser une mise en garde au pouvoir contre toute tentation de s’en prendre à l’organisation.
Si certains observateurs continuent à scruter attentivement des signes d’apaisement entre le président de la République, Kaïs Saïed, et le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, ils savent désormais que l’heure n’est pas encore à la paix des braves. Le meeting organisé et soigneusement mis en scène hier par l’UGTT au Palais des congrès à Tunis, a pris les allures d’une nouvelle passe d’armes entre Carthage et la Place Mohamed Ali.
Dans un discours enflammé, le dirigeant du plus ancien syndicat dans le monde arabe et en Afrique a démenti d’emblée les informations véhiculées par la chaîne qatarie Al Jazeera selon lesquelles l’armée aurait contacté l’UGTT pour l’informer d’un plan d’encerclement des locaux de l’organisation et d’assignation à résidence de ses dirigeants.
« La sécurité nationale est une ligne rouge. Nous ne sommes pas des putschistes et nous n’avons pas de contacts avec l’armée, ni avec le ministère de l’intérieur et il n’y a pas d’assignations à résidence. Notre armée est républicaine et il en de même pour les forces de sécurité », a-t-il affirmé devant une salle archicomble.
Evoquant la campagne de dénigrement orchestrée par des partisans présumés du locataire de Carthage sur les réseaux sociaux, le secrétaire général de l’UGTT a rappelé que les syndicalistes sont prêts à défendre leur organisation.
« Si vous avez une armée virtuelle, nous avons une armée réelle », a-t-il lancé sous les cris « Avec notre âme, avec notre sang, nous nous sacrifions pour l’UGTT », révélant au passage que les autorités ont refusé d’accorder à l’organisation des espaces plus grands comme le stade de handball de Radès et le palais des expositions du Kram.
Grève politique
En ce qui concerne la grève prévue le 16 juin dans le secteur public (fonctionnaires et salariés des entreprises publique), le responsable syndical a d’autre part indiqué que la centrale syndicale garde encore et toujours la même position immuable opposé à la cession des entreprises publiques, à la levée des subventions et l’appauvrissement du peuple quelque soit le pouvoir en place.
« Qu’on en déclenche on grève politique, on n’a pas honte de le dire. Nous avons déclenche des grèves politiques grève après l’assassinat des leaders de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ainsi que lors que le Fonds monétaire international a exigé la cession des entreprises publiques en 2018. Sur ce dernier point, notre position n’a pas changé. La privatisation des entreprises publiques est une ligne rouge, et il est aussi hors de question aussi d’imposer des mesures douloureuses qui appauvrissent le peuple ! » a-t-il martelé.
Le secrétaire général de l’UGTT a par ailleurs réitéré son rejet catégorique d’un dialogue national factice qui ne servirait qu’à donner un semblant de légitimité au projet de démocratie directe et son corollaire d’entreprises citoyennes porté par le Chef de l’Etat.
« Nous refusons d’être les témoins passifs d’une telle mascarade, nous avons refusé de participer à ce dialogue car nous avons observé des choses et notre devoir de réserve nous empêche de les dévoiler, nous n’allons pas nous laisser emporter par les émotions… Oui il existe certaines failles dans le système politique et électoral mais nous refusons des réformes qui ramèneraient la Tunisie à l’âge de pierre avec des entreprises citoyennes » a-t-il dit sur un ton acéré et tranchant.
Acteur incontournable
L’UGTT avait apporté son soutien au président au lendemain de ses mesures choc du 25 juillet. Mais l’exercice très solitaire du pouvoir de l’unique maître de la nouvelle séquence politique et son attachement à organiser un dialogue national dont l’ultime objectif serait de « draper son projet politique d’un semblant de légitimé consensuelle » ont incité la puissante habituée à jouer ses contre-pouvoirs à prendre peu à peu ses distances. La rupture entre Carthage et la place Mohamed Ali a été consommée fin mai dernier quand l’organisation ouvrière avait refusé de participer à un dialogue national sous les auspices du président.
Organisation ouvrière atypique, l’UGTT est bien plus qu’un syndicat. Elle a mêlé, depuis sa création activité syndicale et engagement politique. Partenaire du Néo-Destour de Habib
Bourguiba durant la lutte pour l’indépendance, elle a été associée à la construction des nouvelles institutions du pays. L’organisation a en effet formé une coalition électorale avec le Néo-Destour dans le cadre d’un « Front national » regroupant aussi l’UTICA (patronat) et l’UNA (Union nationale des agriculteurs) pour rafler la totalité des sièges à l’Assemblée constituante chargée d’instituer la première République. Plusieurs personnalités issues de l’UGTT sont ainsi devenues ministres. Mais par la suite, les relations de l’UGTT avec le pouvoir ont oscillé entre soumission au parti-Etat et rivalités dont le point culminant fut la grève générale du 26 janvier 1978.
Après l’accession de Ben Ali au pouvoir, la direction de l’UGTT s’est progressivement inféodée au régime mais la base a continué à manifester des velléités d’indépendance. C’est d’ailleurs ce qui explique que l’UGTT était la seule organisation nationale, avec l’Ordre national des avocats, à ne pas soutenir la candidature de Ben Ali à la présidentielle de 2009. Lors du soulèvement de 2010-2011, l’UGTT avait décrété des grèves dans les régions qui ont précipité la chute de Ben Ali. En 2013, son initiative de dialogue national lui a valu d’être l’un des quatre récipiendaires du prix Nobel de la paix, avec l’Union Tunisienne de l’Industrie, du commerce et de l’Artisan, l’Ordre national des avocats et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme.
Walid KHEFIFI