Par Raouf KHALSI
Lundi soir, Sadok Belaïd, un tantinet irrité sur un plateau télé, et Amine Mahfoudh, pondéré, comme à son habitude, sur un autre : l’un et l’autre poussaient un « ouf » de soulagement. C’est que le travail a été fait, « le bouillon » de la constitution est désormais aux mains de son commanditaire, tout en se gardant d’affirmer que c’est définitif. Ils auront pris des pincettes, même si Sadok Belaïd, a rappelé qu’en 1958, De Gaulle, dont s’est vraisemblablement inspiré Saied, n’a rien touché à la mouture que lui avaient présentée les spécialistes désignés pour concocter le texte de ce qui allait consacrer l’avènement la Vème République.
On voit mal nos deux constitutionnalistes dévier des grands commandements de Saied pour la physionomie d’une constitution qui préfigurera de la nature du régime politique qui en découlera. Si le doyen Belaïd est humainement stressé, c’est qu’on ne cesse de lui sortir des chroniques anti-Saied en 2019 ou encore ses positions à travers le « Collectif Soumoud » : qu’à cela ne tienne ! Mitterrand disait que seul les imbéciles ne changent pas d’idées. Quant à Amine Mahfoudh, il est plutôt taraudé par quelques scrupules : il regrette (tout en respectant leur décision) le refus des autres doyens de n’avoir pas mis la main à la pâte.
Or, une constitution ce n’est toujours qu’un modèle de vie codifié pour une Nation. Celle de 1959 a mis le socle de l’édification de l’Etat moderne. Celle de 2014 a été fignolée pour servir de prétexte aux abus partisans. Prétexte aussi au pouvoir absolu de cet islam politique nous ayant projeté quatorze siècles lumière en arrière. Quant à la controverse sur l’islamité et sur l’arabité de l’Etat, aujourd’hui elle ne se justifie plus. En d’autres termes, on n’aura plus à interpeller Georges Orwell quand in écrit dans « La ferme des animaux » : « Tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux qui sont plus égaux que d’autres ». L’hyperbole tiendrait dans cette transposition de la constitution de 2014 avec l’irruption de l’islam politique : « Tous les musulmans sont égaux, mais il y a des musulmans plus égaux que d’autres ». En 1959, Bourguiba ne voyait pas venir le monstre.
Coupable Saied de vouloir en finir avec une secte de malheurs ? Coupable de chercher à vouloir restituer à l’Etat sa …raison d’Etat, justement ?
Quant au discours sur l’ultra-présidentialisme, sur la démocratie et sur la séparation des pouvoirs, là il faudra chercher de quel côté se trouvent les mobiles et de quel autre côté se trouvent les alibis.
Le chemin est encore long. Mais le processus est irréversible…