Dans le monde des politiques, la terminologie peut être considérée comme « art » dans les situations ordinaires et, à certains moments, comme « guerre », surtout lors des étapes de concurrence, d’alerte ou de défense. Il s’agit de toute une technique incluant un ensemble de mots clés, termes, expressions et notions significatives, à utiliser selon la réalité de la situation, où le domaine gagnerait à être bien identifié et par-dessus tout analysé.
Rien n’est mentionné ni déclaré par hasard ; chaque information diffusée cache un fonctionnement visant à répondre à un certain besoin ou à un but particulier, et chaque impasse peut avoir une issue en investissant ce qui est déjà publié, ou existant. L’exemple le plus vivant dans la scène politique actuelle en Tunisie est concrétisé par la manière dont le mouvement d’Ennahdha gère une part de ses crises, et en particulier les dernières liées aux arrestations d’un certain nombre de ses dirigeants.
Arrestation Bhiri- Arrestation Jebali : du déjà vu…
L’ancien ministre de la Justice et député au parlement dissous Noureddine Bhiri était le premier à annoncer à travers un texte publié sur son compte personnel et sa page Facebook officielle l’arrestation de Hamadi Jebali jeudi soir à Sousse. À travers la même publication, Bhiri a noté que la vie de Jebali serait en danger et qu’il est entré dans une grève de la faim en signe de protestation contre sa « détention forcée », qualifié par la même occasion « d’enlèvement».
Ici, il est clair que l’usage des expressions comme « Détention forcée » pour définir la détention préventive, l’annonce de l’entrée en grève de faim brutale et puis directement l’annonce de la perturbation de l’état sanitaire; font partie de toute une stratégie communicative du mouvement Ennahdha afin d’attirer la compassion de l’opinion publique et dans le but d’exercer autant de pression sur les autorités.
Identiquement à ce qui s’est passé lors de l’assignation à résidence de Noureddine Bhiri, il a été déclaré que l’arrêté a été privé de prendre ses médicaments alors qu’il se trouvait à l’hôpital, et que la famille a été interdite de lui rendre visite. Entretemps, un comité de défense s’est formé et a commencé à publier d’une façon quotidienne des communiqués autour : des « accusations malveillantes », de la « détention illégale », du « ciblage et du démantèlement » du téléphone de l’épouse au moment de l’arrestation de l’accusé, de la « responsabilisation des autorités » (ministre de l’Intérieur et président de la République). Même la marge du temps qui sépare ces différentes nouvelles et informations est presque la même.
Nb : ceci est une lecture comparative des démarches établies en termes de communication et en termes de codes et d’expressions approuvées.
Hamadi Jebali « à moitié martyr »
Dans le même contexte, Bhiri a publié ce dimanche 16 juin 2022, une autre publication indiquant que « Hamadi Jebali est à moitié martyr ». En parallèle, et durant la même journée, une autre rumeur autour du décès de Jebali s’est propagée sur les réseaux sociaux.
D’ailleurs, une publication pareille ayant de multiples interprétations, ne peut pas passer inaperçue et ne peut que représenter un argument accélérant la circulation des rumeurs. La plateforme « Falso » pour la lutte contre les fausses informations et les rumeurs, a mentionné, sur le tas, que la nouvelle est totalement fausse.
Ensuite, la page Facebook officielle de Hamadi Jebali a publié un texte réfutant la validité de ce qui a été diffusé concernant le décès et soulignant que Jebali est toujours sous surveillance médicale à l’hôpital Habib Thameur.
Fake news et responsabilités de l’État
Étant donné que le droit d’accéder à la bonne information est un droit légitime, il est du devoir des autorités concernées de fournir les informations nécessaires au niveau sanitaire et juridique à l’opinion publique, afin de mettre fin aux rumeurs d’une part, et pour interdire la manipulation des gens et des valeurs justes dans le cadre d’un règlement de compte politique ou dans le cadre d’autres fins.
Des informations officielles et actualisées sont d’autant importantes, surtout dans des cas pareils, s’agissant de la prestation des soins de santé dans le cas de maladie ou grève et l’assurance du droit à la défense pour que le citoyen puisse contrôler tout d’abord à quel point les droits humains et citoyens sont respectés dans son pays, et pour qu’il y ait des sources officielles qui contribuent à la réfutation des rumeurs par arguments. Dans une situation aussi délicate que celle de notre pays, l’impact de ce cercle vicieux des fausses nouvelles et de la manipulation de l’information, peut amener à des scénarios très dangereux.
Bhiri, Marzouki et les grèves de la faim
Lorsqu’il était ministre de la Justice en 2012, il paraissait que Noureddine Bhiri avait une tout autre vision concernant les protestations et les grèves de la faim faites à cette époque-là par des prisonniers ou personnes arrêtés. « La grève de la faim n’affectera pas l’avancement de l’affaire et ça ne veut pas dire que nous allons nous occuper du gréviste et abandonner de l’autre côté le non-gréviste», avait-il déclaré concernant la grève de Sami El Fehri à la prison, soulignant, entre-autres, que le gréviste peut gagner du poids après 56 jours de grève dans certains cas.
Il s’agissait à l’époque aussi de la grève entamée par Béchir El Golli et Mohamed El Bakhti, après avoir été arrêtés suite à l’attaque et aux incidents de l’ambassade américaine. Après environ deux mois de grève, El Golli a quitté la vie le 15 novembre 2012. Ensuite, et quelques heures après l’annonce de sa libération, El Bakhti a, de son côté, quitté la vie deux jours après, précisément le 17 novembre 2012, dans le centre d’assistance médicale d’urgence de Montfleury.
Malgré les demandes de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et de plusieurs défenseurs des droits de l’homme appelant à intervenir avant les décès et l’ouverture d’une enquête, le gouvernement présidé à l’époque par Hamadi Jebali n’avait rien fait de concret. En tant que ministre de la Justice, Bhiri avait affirmé l’ouverture d’une enquête lors d’une conférence de presse. Il avait également parlé à l’époque de « tentatives de convaincre les grévistes de suspendre leurs grèves ». En face, les avocats des détenus avaient tenu à responsabiliser les autorités surtout que la libération de Mohamed El Bakhti n’ait pas été décidée bien qu’ils étaient certains de sa mort.
Pour sa part, le président provisoire, à la même période, Moncef Marzouki avait décalé qu’il assumait sa responsabilité ainsi que tout le gouvernement. « Il est hors de question que quiconque fasse chanter l’État à travers une grève continue de la faim, surtout dans la post-révolution, et ce, quelles que soient les circonstances et les prétextes », avait-il martelé. « Parce que cela signifie entrer dans une dynamique dangereuse qui pourrait conduire à l’effondrement de la notion de justice et la crédibilité des tribunaux, et puis à l’effondrement de l’État. Cette porte est définitivement fermée, j’appelle les jeunes à ne pas se mettre en danger », avait-il encore ajouté.
Il convient de noter que cet incident datait de l’ère dite « de la démocratie », qui serait devenue aujourd’hui, d’après les nahdhaouis, « menacée » et « en danger » après le 25 juillet 2021. Dans tous les cas, aucune logique ne pourrait justifier ce changement radical et brusque au niveau de l’initiation à la démocratie et l’adoption des droits de l’homme y compris le droit à un procès équitable dans des conditions neutres sur le plan politique.
Rym CHAABANI