Les premières prises de position étrangères sur le référendum sur la nouvelle Constitution proposée par le président Kaïs Saïed ont émané des Etats-Unis et de l’Union européenne, principaux partenaires internationaux de la Tunisie. Les formules diplomatiques policées et bien ciselées utilisées par Washington et Bruxelles destinées à ne pas froisser le souverainisme de Carthage cachent mal leurs inquiétudes quant au « devenir de la démocratie en Tunisie ». Comme d’habitude, ce sont les Etats-Unis qui ont ouvert le bal des réactions occidentales à la vaste consultation populaire organisée en Tunisie. Lors d’un point de presse tenu mardi, le porte-parole du Département d’Etat américain, Ned Price, a déclaré que les Etats-Unis sont informés des inquiétudes des Tunisiens concernant le référendum du 25 juillet.
Il a précisé que ces inquiétudes ont notamment porté sur le « manque de transparence » et « l’absence de tout débat inclusif et public » autour du processus référendaire et du projet de la nouvelle constitution.
« Les inquiétudes de beaucoup de Tunisiens concernent l’absence d’un processus inclusif et transparent et l’absence d’un véritable débat public durant la rédaction de la nouvelle Constitution, et nous savons aussi que des inquiétudes concernent les contrepoids affaiblis dans la nouvelle constitution ce qui compromet la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales » a-t-il affirmé.
Ned Price a enfin affirmé que les Etats-Unis « continuent de souligner l’importance du respect de la séparation des pouvoirs et d’un code électoral inclusif et transparent qui permette une participation large aux élections prévues le 17 décembre prochain ».
Faible participation
Lundi, alors que le scrutin se déroulait, le porte-parole du Département d’Etat américain a insisté sur le lancement d’un « processus de réforme qui inclut la société civile et les diverses voix politiques », tout en soulignant la nécessité d’« écourter les mesures transitoires qui se poursuivent sans fin claire ».
Il a par ailleurs estimé que « c’était aux Tunisiens de décider de leur futur politique », indiquant au passage que « le pouvoir en place devrait se concentrer sur le futur économique du pays ».
Dans un langage plus adouci, l’Union européenne a souligné, dans une déclaration publiée hier, la « faible participation » au référendum, et souligné la nécessité d’un large consensus pour préserver la démocratie en Tunisie.
« L’Union européenne prend note des résultats provisoires du référendum constitutionnel qui s’est tenu en Tunisie le 25 juillet et qui a été marqué par une faible participation. Un large consensus parmi les différentes forces politiques, y compris les parties politiques et la société civile, est essentiel pour la réussite d’un processus qui préserve les acquis démocratiques et nécessaire pour toutes les réformes politiques et économiques importantes qu’entreprendra la Tunisie. La légitimité et la durabilité de ces réformes en dépendra », a-t-elle précisé.
Elle a également recommandé aux autorités tunisiennes de lancer un « dialogue national inclusif » avant les législatives prévues le 17 décembre prochain.
« La préparation et les modalités de déroulement des élections législatives annoncées pour décembre devront ainsi être l’occasion de favoriser un véritable échange dans le cadre d’un dialogue national inclusif. Ainsi que l’ont rappelé à plusieurs reprises l’Union européenne et la Commission de Venise, ce dialogue constituera une condition importante pour fixer un cadre législatif assurant la légitimité et la représentativité du futur Parlement », a conseillé l’UE.
Préserver les libertés
Principal partenaire économique de la Tunisie à laquelle elle est liée par un accord d’association, l’UE a souligné que l’élection du parlement formera la pierre angulaire du retour du pays à un fonctionnement régulier des institutions, dans le plein respect des principes démocratiques, en particulier la séparation des pouvoirs, la consolidation de l’Etat de droit, le pluralisme ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales. Elle a aussi fait savoir que « la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de manifestation ainsi que les autres libertés fondamentales sont des valeurs essentielles des Etats démocratiques, auxquelles l’Union européenne tient tout particulièrement et qui doivent être préservées ».
Le groupe des vingt-sept a, d’autre part, assuré qu’il « continuera à suivre de près les développements et restera aux côtés du peuple tunisien et à l’écoute de ses besoins en ce moment crucial pour le pays », tout en réaffirmant sa disponibilité et sa volonté à apporter son soutien politique pour mener à bien une transition démocratique.
L’Union européenne a aussi indiqué qu’elle continuera à soutenir le peuple tunisien pour répondre aux défis socio-économiques et financiers majeurs auxquels la Tunisie est confrontée, et qui nécessitent des réformes structurelles urgentes ».
Alors que les pays occidentaux ont l’habitude de s’accommoder rapidement des régressions démocratiques surtout dans le monde arabe et de regarder ailleurs quand leurs intérêts sont en jeu, comme ce fut le cas lors du coup d’Etat opéré par Abdelfattah al-Sissi en Egypte en 2013, le cas de la Tunisie semble différent. Ce pays jusque-là considéré comme la vitrine démocratique du monde arabe a valeur d’exemple dans une région qui connaît une séquence historique de restaurations autoritaires.
Les puissances occidentales semblent vouloir préserver cette exception tunisienne en veillant à ce qu’il y ait, au moins en apparence, le fonctionnement d’une démocratie avec des pouvoirs séparés et des institutions indépendantes.
Walid KHEFIFI