Nouveaux rebondissements dans l’affaire de la suspension de la révocation de 49 magistrats décidée par le Tribunal administratif. Le pouvoir exécutif semble avoir décidé d’outrepasser cette décision du tribunal et de refuser la réintégration des magistrats. C’est du moins ce qui ressort d’un communiqué laconique rendu public dimanche (en dehors des horaires administratifs !), le ministère de la Justice a annoncé que « les magistrats concernés par la révocation, en vertu des dispositions du décret-loi N° 35 du 1er juin 2022 font l’objet de procédures de poursuites pénales ».
Ce communiqué qui ne lève pas entièrement le voile sur les intentions des autorités, constitue la première réaction du ministère de la Justice après la parution de la décision du Tribunal administratif ayant donné gain cause à 49 sur les 57 magistrats congédiés, à travers la suspension de la mise en exécution des mesures de révocation.
Mais le microcosme judiciaire a commencé à y voir plus clair hier, quand un membre du comité de défense des magistrats révoqués, Me Kamel Ben Messaoud, a annoncé que la ministre de la Justice a donné ses instructions aux directeurs régionaux de la justice, chargés de la logistique dans les tribunaux, de changer les serrures des portes des bureaux des magistrats dont la révocation a été suspendue par le Tribunal administratif.
Dans une déclaration à Jawhara FM, l’avocat a qualifié cette situation de « honteuse », d’autant plus que « les décisions du Tribunal administratif ne se prêtent à aucun recours, même en cassation ».
« Je ne pense pas que le président de la république qui brandit le slogan, le peuple veut, et personne n’est au-dessus de la loi, permette que la ministre de la Justice, s’oppose par la force, à l’application des décisions de justice émises au nom du peuple », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « la ministre de la Justice a induit en erreur le président de la République et lui a présenté une liste contenant des informations erronées sur les magistrats révoqués ».
Me Ben Messaoud a également estimé que « le fait d’empêcher l’application des décisions de justice est considéré comme un crime passible d’amende et de prison conformément dispositions de l’article 315 du code pénal ».
Le changement des serrures des portes des bureaux des magistrats dont la révocation a été suspendue par le Tribunal administratif a été également confirmée par le président de l’Association des magistrats tunisiens (AMT).
Pour rappel, le Tribunal administratif avait décidé, le 10 août, la révocation d’une 49 magistrats, décidée le 1er juin par le président Kaïs Saïed.
Révoqués par décret présidentiel, 57 magistrats avaient été alors accusés de corruption et d’entrave à plusieurs enquêtes. Cinquante-trois juges, dont certains étaient accusés d’« adultère », avaient déposé des recours devant le Tribunal administratif.
Selon Me Kamel Ben Messaoud, la suspension de la révocation par le Tribunal administratif, qui n’a suscité aucune réaction de la part de la présidence, permet aux juges de reprendre leur fonction dès l’obtention d’une copie du verdict.
Mais le porte-parole de l’alliance Ahrar, un mouvement proche du président de la République, affirme que « la suspension de la révocation ne va pas empêcher de poursuivre ces juges devant les tribunaux dans des dossiers pénaux ». Or, selon le tribunal administratif, les dossiers sont vides et aucune poursuite pénale ou morale ne concerne les 47 juge rétablis dans leur fonction.
La révocation de ces magistrats avait été dénoncée par plusieurs ONG, dont Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, comme une « attaque directe contre l’État de droit » et avait entraîné plus d’un mois de grève de magistrats, très suivie.
Walid KHEFIFI