Dans les Jardins de Salammbô, au rez-de-chaussée se trouve une petite galerie d’art d’environ 60 m². C’est la Galerie Aïn. Elle vient d’éteindre ses 35 bougies. Grâce à l’artiste Mohamed El Ayeb qui tient cet espace culturel depuis plus d’un quart de siècle, cette galerie ne cesse d’évoluer au milieu d’un univers artistique qui a connu des périodes tantôt prospères, tantôt difficiles, surtout ces deux dernières années de crise sanitaire due à la pandémie. C’est que la Galerie Aïn a pu résister, contre vents et marées, à tous les contretemps, pour promouvoir les arts plastiques en Tunisie et établir un dialogue entre les différentes générations. A l’occasion de son 35è anniversaire, nous avons rencontré Mohamed El Ayeb, maitre de céans, avec qui nous avons réalisé l’entretien suivant :
Le Temps News : La Galerie Aïn est aujourd’hui âgée de 35 ans. Pourriez-vous nous résumer toutes ces années en quelques phrases.
Mohamed El Ayeb : D’abord, ça été toujours un plaisir pour moi d’être en contact continu avec les artistes et leurs créations. J’ai consacré toute ma vie et toute ma passion pour l’art dans ce milieu que j’ai vu grandir peu à peu à travers toutes ces années. Parler de trente-cinq ans en tant que galeriste, je dirai que ce métier m’a beaucoup appris et j’ai acquis une bonne expérience dans le domaine des arts plastiques, à force de côtoyer les artistes et leurs œuvres. Cela m’a permis aussi de me lancer à la découverte de nouveaux artistes parmi les jeunes générations. Par ailleurs, les relations sociales et publiques que j’ai cultivées grâce à la galerie sont d’une importance capitale pour moi.
Quelle est la ligne artistique de votre galerie ?
La ligne artistique de la Galerie est claire et nette dès le début. Il s’agit de privilégier la peinture tunisienne et les peintres tunisiens tout en s’ouvrant sur les créations des nouvelles générations et l’art contemporain, établir des liens entre les différentes générations, toutes disciplines artistiques confondues, et surtout rapprocher la photographie aux arts plastiques.
Comment vous choisissez vos artistes ?
Le critère essentiel, c’est la qualité du travail proposé et sa valeur artistique de l’œuvre, abstraction faite de l’âge ou de la formation (académique ou autodidacte) ou encore de la spécialité (peintre, sculpteur, photographe, céramiste…). Bref, tous ceux qui proposent des nouveautés. Et puis, il faut que je sois convaincu des travaux à exposer.
Par rapport à d’autres espaces culturels, pourquoi les galeries ne sont pas suffisamment fréquentées par les jeunes. Pour un public non averti, quel conseil donneriez-vous pour l’inciter à visiter les galeries de l’art ?
Le public tunisien a beaucoup de chance car la Tunisie a un patrimoine et des réseaux culturels extrêmement riches. Malheureusement, les jeunes d’aujourd’hui dénotent une certaine réticence à fréquenter les espaces culturels, encore moins les galeries des arts qui sont de plus en plus désertes. Cela a été flagrant surtout durant les dix dernières années où la culture a été reléguée à un second plan, même par les autorités. J’appelle les écoles et les lycées à organiser des visites pour leurs élèves dans les différentes galeries pour les sensibiliser à la valeur des arts plastiques, surtout qu’ils auront l’occasion de discuter avec les artistes ou les galeristes à propos des œuvres exposées. Alors j’invite le public à pousser les portes des galeries, ils seront accueillis à bras ouverts.
Quels impacts a eu la pandémie COVID-19 sur les galeries en ces deux dernières années ?
Oui, en effet, ce sont les artistes et les galeristes qui ont le plus souffert de la crise sanitaire. Le nombre des expositions s’est réduit à presque 50%, les peintres exposent peu et on remarque une mévente considérable des œuvres réalisées, d’autant plus que la Commission d’achat qui acquiert des tableaux pour l’Etat ne fonctionne pas depuis des mois à cause de la pandémie. Et puis, les arts plastiques en général sont le seul secteur qui n’a pas bénéficié d’aide ou de subventions de la part du ministère de la culture. Sachez que certaines galeries ont dû mettre la clé sous la porte, faute d’activités.
En tant qu’artiste-photographe, quelle position a l’art de la photographie parmi les arts plastiques et dans l’art contemporain en particulier ?
C’est beaucoup mieux par rapport aux années 60-70 où la photographie n’était pas encore considérée comme un art à part entière. La photographie prend de plus en plus une place parmi les arts plastiques et a déjà ses lettres de noblesse. Avec les technologies modernes, la photographie se développe chaque jour davantage. La photographie, en tant que matière, n’était pas enseignée dans les écoles des beaux-arts ; aujourd’hui elle s’étudie en tant que spécialité et on a de nombreux doctorants dans cette discipline des arts plastiques.
Est-il possible de vivre aujourd’hui de son art ?
Absolument pas ! Peut-être, dans les années 50, à l’époque de l’Ecole de Tunis, les grands maitres de la peinture destinaient leurs œuvres à la vente, ce qui constituait une ressource essentielle pour eux. Actuellement, en Tunisie, le peintre compte sur le Comité d’achat du Ministère pour écouler sa production, ce qui est fort insuffisant ! Et puis les collectionneurs de l’art se font de plus en plus rares en Tunisie !
Que pensez-vous de la création d’un marché de l’art en Tunisie ?
C’est un souhait exprimé par la totalité des artistes tunisiens depuis longtemps. Le marché de l’art est une nécessité et nous avons un patrimoine très important en matière d’art plastiques. Des milliers d’œuvres sont acquises par l’Etat depuis des années, qui sont gardées dans des lieux insalubres, exposées à la poussière et à l’humidité. Ces œuvres doivent sortir de leurs caves pour être exposées dans un musée d’art national où tout le monde peut en profiter, mêmes les étrangers qui viennent visiter notre pays. Un tel projet donnera un certain dynamisme culturel et économique extraordinaire.
Propos recueillis par Hechmi KHALLADI