Par Samia Harrar
Lorsqu’il a reçu son prix Nobel de littérature en 1957, la première pensée de Camus, après sa mère, a été pour son instituteur Monsieur Germain. « Sans votre main affectueuse tendue au petit garçon pauvre que j’étais… », ainsi écrira-t-il à cet enseignant, qui pratiquait son métier-sacerdoce avec un seul credo : transmettre et partager son savoir, avec toute l’humilité et le dévouement consenti pour aider ses jeunes élèves à intégrer la lumière. Et l’esprit des Lumières. Sans jamais les considérer autrement que comme de belles promesses en devenir. Qu’il est absolument interdit d’humilier, et cela quel qu’en soit le prétexte !
Nous sommes loin de Camus et de son digne instituteur. Et encore moins de l’esprit des Lumières, lorsqu’un enseignant, qui plus est dans un lycée pour les Arts, décide, avec toute la « corporation » dans l’acception la plus détestable du terme, de renvoyer une élève parce qu’elle aurait rouspété contre le traitement humiliant qu’elle aurait reçu de son professeur.
Comédien de son état, nous avons choisi de ne point le nommer parce que son nom importe peu dans toute cette histoire. Mais son exemple, qui ne fait pas dans l’exemplarité, doit pouvoir nous « dessiller » les yeux sur quelque chose d’essentiel.
A savoir que ce n’est pas pour rien, que nos enfants détestent aujourd’hui l’école. Et s’ils ne la détestent pas, sauf très rare exception, ils ne la portent pas, non plus, dans le cœur. Et il faut comprendre que les programmes scolaires, aussi rébarbatifs qu’ils puissent être par moments, ne sont pas seuls en cause, loin s’en faut. En revanche, il ne s’agit pas, non plus, d’incriminer tous les professeurs, pour un manquement à son devoir, commis par un des leurs. Sauf qu’il faut être assez réaliste, pour constater que ce métier en question ; celui d’enseigner, semble avoir perdu, au fil des ans, de son caractère noble et quasi sacré. Qui faisait que les élèves respectaient leurs enseignants et les aimaient, parce que leurs enseignants savaient se faire respecter, et aimer.
Il me souvient d’une enseignante, qui avait mis toute sa carrière sur la table, lors du conseil des classes annuels, devant clôturer la saison, pour défendre une de ses élèves qui risquait de peu, non pas d’être renvoyée de son lycée, mais de redoubler de classe parce que sa moyenne était légèrement en dessous de la norme. Face à la directrice de son établissement, et à tous ses collègues, qu’elle avait acquis à sa cause, elle avait posé sa démission dans la balance.
Et étant un excellent professeur (professeure), et son lycée ne pouvant se passer de ses « services », elle obtint gain de cause pour son élève, sans jamais lui raconter en face, par la suite, ce qu’elle avait fait pour elle. Ce sont ses collègues, émus, qui s’en sont chargés à sa place. Mais ses élèves à la rue de Russie, n’ont jamais pu oublier leur professeure, qui leur avait fait aimer, avec douceur et obstination, la langue de Molière. En y mettant toute sa passion. Myriam Ben Abdelwahed, que nous avons toutes aimée…
Peut-être que les choses ont changé. Ou sûrement. Mais c’est nos « latitudes » et nos attitudes qu’il faudra incriminer. Car chez nos voisins français, pour ne citer qu’eux, pour pouvoir prétendre à exercer dans l’enseignement, aujourd’hui, il faut pouvoir se prévaloir de pas moins de 18 compétences. Qui vont toutes, dans le sens, de toujours respecter, et quelles que soient les circonstances, l’intégrité physique et morale, et psychologique des élèves.
Qui ne doivent jamais, être rabaissés ou humiliés, de quelque façon que cela soit. Mais au contraire, il faudra veiller à ce que chaque enfant, adolescent, ou jeune élève, en arrive à surmonter, avec la confiance retrouvée en lui, et qui ne doit jamais être remise en question, l’envie d’étudier et d’apprendre. Et de porter un rêve, en faisant en sorte de ne jamais y renoncer.
Cela s’appelle l’empathie. Et les professeurs qui estiment qu’ils sont incapables de répondre à ces 18 « commandements » s’il en est, doivent admettre qu’ils ne sont pas faits pour ce métier si noble, qui peut faire (ou défaire s’il est mal exercé), des générations entières, qui auront défilé sur les « bancs » des écoles. Alors, si aujourd’hui, en Tunisie, une élève, à une année de son baccalauréat, est renvoyée définitivement de son lycée, parce que son professeur a failli à sa mission, et lui en a fait porter le « chapeau », c’est qu’il y a maldonne. Quand bien même elle se serait exprimée « vertement », sur les « réseaux sociaux » ou de vive voix, parce qu’elle s’était sentie ulcérée, et humiliée, et plus qu’une fois, devant ses camarades, par les « lourdes » allusions de cet enseignant, qui gagnerait à se remettre en question.
A moins qu’il ne comprenne, qu’il n’est pas fait pour ce métier. Mais pour l’heure, il y a une injustice flagrante dont a fait l’objet une élève, qui doit être réparée. Elle doit pouvoir réintégrer son lycée, et le plus tôt sera le mieux. Nous n’avons pas le droit, de la pénaliser davantage…