Un nombre réduit d’électeurs ont voté sans enthousiasme, hier, lors des législatives anticipées, un scrutin pourtant jugé crucial pour enraciner le modèle de démocratie par la base, porté par le président de la République Kaïs Saied.
A 10 heures, 270 032 électeurs seulement ont voté, selon l’instance supérieur indépendante pour les élections (ISIE). A midi, soit quatre heures après l’ouverture des bureaux, 440.000 électeurs seulement ont voté, soit un taux avoisinant 5% du corps électoral.
Vers le coup de 15 heures, de nombre s’est élevé à 656 915 votants, soit 7,19% des électeurs inscrits, a précisé l’ISIE.
Dans un bureau de vote à Ben Arous, où les électeurs arrivaient au compte-gouttes, l’enthousiasme est effectivement apparu beaucoup moindre que celui enregistré lors des législatives de 2019 et en 2014. La foule était beaucoup moins nombreuse que lors du référendum sur la nouvelle Constitution tenu le 25 juillet dernier.
« Même si on n’a pas beaucoup d’espoir, et que le projet de la démocratie partant de la base vers le sommet ne m’a pas convaincu, je viens quand même accomplir mon devoir. Sous le régime de Ben Ali, j’étais interdit de vote, et je savoure mon droit à élire à chaque élection » a affirmé Ali Ebdelli, 71 ans.
Affichant fièrement son doigt trempé dans l’encre indélébile, une sexagénaire a indiqué que tous les membres de sa famille n’étaient pas venus voter. « J’ai insisté pour que mes enfants aillent voter… mais ils n’attendent rien de ces élections, alors qu’ils passent une bonne partie de la journée à la recherche d’un paquet de lait ou d’un sachet de sucre », a-t-elle déploré.
Les jeunes étaient particulièrement peu nombreux à voter à travers le pays.
Les résultats du scrutin étaient attendus dans la soirée, mais la forte abstention largement pressentie par les observateurs de la vie politique, constituerait un revers pour le chef de l’Etat, qui bâti l’ensemble de son nouveau système de gouvernance par les bases sur le narratif de la participation citoyenne et de la volonté du peuple.
Le locataire de Carthage a pourtant appelé à la mobilisation. Après avoir voté à l’école primaire d’Ennasr 1, le président de la République a à exercer leur droit constitutionnel et leur devoir national.
« Ces élections constituent une occasion historique que le peuple tunisien à l’intérieur et partout dans le monde devra saisir pour récupérer ses droits légitimes à la justice et la liberté. A travers votre libre choix, vous êtes capables d’aller de l’avant pour créer une histoire nouvelle pour le pays », a-t-il clamé, tout en fustigeant ceux qui « ont pillé le pays et se sont arrogés en tuteurs du peuple, à travers un mode de scrutin suranné, (en allusion au scrutin de listes, avec les plus forts restes) comme l’a prouvé l’expérience ».
Des citoyens préoccupés par la dégradation de leurs conditions de vie
Alors que la campagne était terne et sans réel débat de fond le scrutin a suscité peu d’engouement au sein d’une population plus préoccupée par la dégradation de ses conditions de vie que par l’élection d’un nouveau Parlement qui aura des pouvoirs très réduits.
Beaucoup de Tunisiens se disent démobilisés en raison d’une inflation désormais proche de 10%, d’un chômage endémique mais aussi de la pénurie de plusieurs produits alimentaires de base comme le sucre et le lait.
Au total, 1058 candidats, dont 122 femmes, étaient en lice pour les 161 sièges de l’Assemblée des représentants du peuple. Ce premier scrutin législatif depuis l’adoption d’une nouvelle Constitution le 25 juillet dernier puis la publication d’une nouvelle loi électorale en septembre est marqué par de nombreux changements par rapport aux précédents scrutins. La nouvelle loi électorale, qui a imposé un nouveau mode de scrutin uninominal à deux tours qui réduit fortement le rôle des partis politiques, stipule que les candidats doivent se présenter individuellement et n’afficher aucune appartenance partisane conformément au « projet de reconstruction démocratique » du président Kaïs Saïed.
Pour le locataire de Carthage, le processus de transition démocratique qu’a connu la Tunisie depuis 2011 a mené le pays vers une « démocratie pourrie » par les petits arrangements entre les partis et les lobbies. Ce projet de refondation est censé « faire émerger une classe politique en totale rupture avec celle des précédentes années et qui n’a pas su répondre aux aspirations du peuple ».
Compte tenu de cette nouvelle configuration, les principaux partis, dont le mouvement islamiste Ennahdha et Parti destourien libre, ont boycotté le scrutin. Une poignée de partis proches de Kaïs Saïed, dont le Mouvement Echaâb, le Courant populaire’, l’Initiative « Pour que le peuple triomphe » et le « Mouvement du 25 juillet » ont cependant présenté des candidats.
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale devenue un acteur politique majeur depuis la révolution de 2011, a jugé ces législatives « inutiles » et n’a pas appelé ses adhérents à aller voter.
L’opposition peine, quant à elle, à mobiliser lors de ses manifestations de rue tandis que les autres composantes de la société civile prennent leurs distances à l’égard du régime et dénoncent de plus en plus « l’incertitude politique qui règne », comme l’affirme la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) dans un communiqué publié le 10 décembre.
Walid KHEFIFI