Le jeu vidéo « Grand Theft Auto III » est sorti le 22 octobre 2001 sur PlayStation 2. Alors qu’une réédition a été annoncée à l’occasion de son anniversaire, retour sur un titre qui a bouleversé l’industrie du jeu.
Les joueurs de PlayStation 2 arpentent, le 22 octobre 2001, le bitume d’une ville fictive à feu et à sang : Liberty City. Cette cité du crime inspirée de New York est le théâtre du troisième opus de la saga Grand Theft Auto (GTA), développé par le studio DMA Design (futur Rockstar North). Intégralement en trois dimensions, le jeu est une révolution dans la série lancée en 1997 qui, jusque-là, se jouait avec une vue du dessus.
Vingt après la sortie du jeu, la lecture de la presse de l’époque nous rappelle combien ce titre a bouleversé la production vidéoludique de l’époque. « GTA III redéfinit à lui tout seul les contours du jeu d’action », concluait par exemple le test du magazine Joystick lors de la sortie de GTA III sur ordinateur en 2002. Un jugement difficile à contredire aujourd’hui. On ne peut s’empêcher de se rappeler à quel point la formule de GTA III a été imitée dans les années 2000, de The Getaway (2002) à Saints Row (2006) ou Just Cause (2006).
« Je me demande si les joueurs actuels se rendent compte à quel point ce jeu a été universellement acclamé en raison de son aboutissement en matière sonore, graphique ou d’ergonomie de jeu. Dans chacun de ces domaines, il a créé un véritable changement de paradigme. Il est aussi le marqueur d’une époque où les jeux ont gagné en maturité », considère Marc A. Ouellette, professeur à l’université Old Dominion, en Virginie, et auteur de l’article « Grand Theft Auto : San Andreas & video games as speculative fiction ». Alors qu’une remastérisation du jeu sortira le 11 novembre, retour sur cet épisode de la maturité pour une série qui s’est depuis écoulée à 350 millions d’exemplaires.
Une nouvelle identité pour la série
Avant de bouleverser en profondeur le jeu vidéo des années 2000, GTA III marque d’abord une transition formelle. D’abord, il pose les bases de l’identité visuelle de la marque telle qu’on la connaît aujourd’hui : la typographie du logo blanc Grand Theft Auto (repiquée à la version américaine de l’émission télévision « Le Juste Prix ») et le damier coloré de la jaquette se sont imposés avec cet épisode. Ensuite, le choix de placer la caméra à hauteur d’homme dans un environnement entièrement en trois dimensions s’est révélé crucial.
La caméra aérienne n’est pas totalement abandonnée pour autant : une option, largement oubliée depuis, permettait aux plus réfractaires de jouer à GTA III avec la vision « classique », quitte à passer à côté du caractère novateur du jeu. Avec ce troisième épisode et sa troisième dimension, GTA est devenu « beaucoup plus accessible à une grande audience et s’est orienté vers la tendance globale du marché de proposer des mondes plus ouverts et des graphismes plus réalistes », détaille John Wills, le directeur du centre des études américaines de l’université du Kent, auteur d’« Ain’t the American dream grand : satirical play in Rockstar’s Grand Theft Auto V »
.Dans GTA III, le joueur peut désormais conduire de façon immersive une grande variété des véhicules, que ce soit un simple taxi jaune, un tank militaire ou un bateau. Il peut aussi déambuler dans les rues de Liberty City avec le protagoniste, un ancien taulard qu’il faut guider dans sa carrière de criminel. S’il n’a pas vraiment de nom (les fans considèrent généralement qu’il s’agit de Claude Speed, le héros de GTA II), il a désormais un visage, tout comme l’ensemble des habitants de Liberty City, qu’il s’agisse de malfaiteurs peu recommandables ou de passants innocents. Caméra rivée sur le truand, ce jeu violent qui proposait déjà de multiplier les actes répréhensibles n’en est que plus sulfureux… et, pour la critique d’alors, choquant.
Un jeu cinématographique
« Le passage en trois dimensions a permis de concevoir un univers plus interactif et plus cinématique », ajoute John Wills. Conçu pour un public plus adulte, GTA III est profondément influencé par les films de gangsters, notamment ceux de Martin Scorcese et de Quentin Tarantino. Les doublages sont aussi assurés par des acteurs de cinéma comme Michael Madsen (Reservoir Dogs), Kyle MacLachlan (Twin Peaks) ou Frank Vincent (Les Sopranos, Les Affranchis).
Cette tendance n’est pas isolée dans l’industrie vidéoludique à cette période. « Le réalisme cinématographique distingue les jeux vidéo à succès de la fin de l’année », rappelait ainsi l’agence Associated Press, fin décembre 2001. Parmi les jeux cités en plus de GTA III, se trouvent Harry Potter à l’école des sorciers, mais surtout le jeu de tir Halo, le jeu d’infiltration Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty. On est loin des Pokémon ou des Sims, les jeux les plus vendus de l’année précédente.
« GTA III va assez loin sur ce terrain. Les éléments empruntés aux films incluent la trame narrative, la caractérisation des personnages et surtout les cinématiques durant lesquelles le joueur ne joue pas. Cela a aidé à créer un sentiment de vraisemblance », analyse le Canadien Marc A. Ouellette.
Le jeu est bourré d’ambitions cinématographiques, jusque dans ses dernières minutes : GTA III se conclut par un coup de feu après que le générique est tombé. Tout se passe hors champ, sans que le joueur ne sache qui a tiré la balle ou qui l’a reçue.
Un phénomène de société
Alliant réussite technique, ambition ludique et audace narrative, GTA III est un grand succès commercial. C’est peut-être le premier grand jeu d’action de la PlayStation 2, sortie un an plus tôt. Il s’est écoulé à 15 millions d’exemplaires en se reposant sur cette nouvelle formule, et chacun de ses successeurs renforcera le potentiel commercial de la franchise : GTA V, sorti en 2013 et régulièrement mis à jour pour tirer partie des nouvelles générations de consoles, s’est écoulé à 150 millions d’exemplaires – dans l’histoire du jeu vidéo, seul le phénoménal Minecraft a fait mieux.
Après vingt ans, GTA III est forcément daté par rapport aux standards actuels : le joueur contemporain ne manquera pas de remarquer nombre de défauts, comme la répétitivité de certaines missions, la linéarité de son intrigue ou le sort réservé aux personnages féminins, souvent réduites aux rôles de petites amies ou de prostituées. Mais cet épisode charnière offre toujours un condensé de ce que sera amené à devenir la série, voire une bonne partie de la production vidéoludique des vingt dernières années.
(D’après Le monde)