Le Conseil supérieur provisoire de la magistrature a décidé, ce mardi, le report de l’examen des demandes de levée de l’immunité de 13 des magistrats révoqués, suite à la requête de leurs avocats pour préparer les éléments de défense. Le même jour, le Président de la République, Kais Saied a reçu au palais de Carthage le Président du Conseil Supérieur provisoire de la Magistrature. Véritable cheval de bataille pour le président Saïed, le mouvement annuel des magistrats, mais aussi l’indépendance de la fonction judiciaire ont été évoqués lors de cette rencontre, relançant ainsi le débat, notamment dans les sphères judicaires, autour de la « grande réforme » de la justice, très chère à Saïed. Un chantier, décidément, plus que jamais ouvert.
En effet, le limogeage de 57 juges, la dissolution du CSM et la création d’un CSM provisoire figurent indéniablement parmi les évènements les plus marquants de la scène judiciaire en Tunisie en 2022. Les membres du nouveau Conseil supérieur de la magistrature provisoire ont pris leur fonction, le 15 févier 2022. L’amendement du décret-loi relatif à la création du CSM provisoire a eu lieu le 1er juin 2022. Le décret en question stipule la révocation de 57 juges, dont notamment, l’ancien premier président de la Cour de cassation, Taïeb Rached, l’ancien procureur de la République près le tribunal de première instance de Tunis, Béchir Akremi et l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature, Youssef Bouzakher. D’après l’article 20, le Président de la République peut, en cas d’urgence, ou d’atteinte à la sécurité publique ou à l’intérêt supérieur du pays, et sur rapport motivé des autorités compétentes, prendre un décret Présidentiel prononçant la révocation de tout magistrat en raison d’un fait qui lui est imputé et qui est de nature à compromettre la réputation du pouvoir judiciaire, son indépendance ou son bon fonctionnement.
Mouvement annuel des magistrats
Recevant le président du CSM provisoire, le président Kaïs Saïed a mis l’accent sur la nécessité de définir avec soin et précision des « critères objectifs » qui s’appliquent à tous lors du mouvement annuel des magistrats, réaffirmant l’impératif qu’il y a à ce que la fonction judiciaire soit exercée dans la pleine et entière « indépendance ». Il ne peut y avoir de justice indépendante sans juges souverains et indépendants, insiste encore le chef de l’Etat. Saied a souligné l’impératif de se plier à l’obligation de réserve qui incombe à tous ceux qui assument des postes de responsabilité au sein de l’appareil de l’Etat, y compris les magistrats, se félicitant à ce propos du travail jusque-là accompli par le Conseil supérieur provisoire de la magistrature.
Le temps judiciaire figure, également, parmi les axes évoqués par le président, soulignant qu’il est totalement inadmissible de voir quiconque rester en prison pour une durée illimitée sans statuer sur son cas, alors qu’il pourrait être innocent et que la durée de sa détention pourrait dépasser la durée prévue par la loi. Et d’ajouter qu’il est inacceptable que certains soient en dehors de la responsabilité et que leurs dossiers trainent devant la justice pendant des années. Intimement liées l’une à l’autre, justice et loi sont » inséparables et indivisibles « , a précisé Saied
Saied a salué le travail accompli par le Conseil dans la refonte des programmes de formation à l’Institut supérieur de la magistrature de manière à améliorer les performances des tribunaux dans les années à venir, selon le communiqué susmentionné. Dans le même contexte, le chef de l’Etat a ajouté qu’il ne peut y avoir de réforme fructueuse sans une loi juste reflétant fidèlement la volonté du détenteur de la souveraineté ; sans un pouvoir judiciaire efficient et sans des magistrats indépendants parfaitement conscients de l’ampleur de la responsabilité et de la mission qui leur sont dévolues.
Levée d’immunité
Parallèlement, le CSM provisoire a reporté l’examen des demandes de levée de l’immunité de 13 des magistrats révoqués, suite à la requête de leurs avocats pour préparer les éléments de défense. Il a décidé de consacrer sa réunion à l’examen des demandes des magistrats du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme qui réclament la levée de l’immunité judiciaire pour 13 magistrats, parmi les 57 révoqués par un décret présidentiel. Selon la même source, la prochaine audience sera fixée dans les jours à venir.
Pour sa part, le comité de défense pour « l’indépendance de la magistrature et des magistrats révoqués » a annoncé avoir déposé, le 23 janvier 2023, 37 plaintes pénales auprès du Parquet près le Tribunal de première instance de Tunis contre la ministre de la justice Leila Jaffal. A noter que ces plaintes sont portées au nom et pour le compte de 37 juges révoqués en vertu du décret présidentiel n°516 de 2022.
Lors d’un point de presse tenu, lundi, devant le siège du tribunal de première instance de Tunis, le membre du comité de défense, Ayachi Hammami a tenu à préciser que ces plaintes surviennent sur fond du refus de la ministre de la Justice d’exécuter les arrêts rendus par le 1er président du tribunal administratif le 10 août 2022 ordonnant la suspension du décret visant la révocation des magistrats. Hammami a pressé le ministère public à agir rapidement et à convoquer le ministre de la Justice devant la justice, « comme c’est le cas pour d’autres affaires liées à ces juges, défenseurs des droits de l’homme et opposants », selon l’agence TAP.
Ghada DHAOUADI