Après avoir vu ses positions de pouvoir s’écrouler comme un château de cartes dans la foulée du coup de force opéré le 25 juillet par le président Kaïs Saïed, le mouvement islamiste Ennahdha semble plus que jamais menacé dans son existence.
Ce premier parti à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) dissoute et pièce- maîtresse de toutes les coalitions parlementaires ayant soutenu une dizaine de gouvernements éphémères depuis 2011, s’est retrouvé dans l’œil du cyclone dans la soirée du lundi, en raison de l’arrestation de son leader et de la fermeture quelques heures plus tard de ses locaux.
L’inamovible président du parti, Rached Ghannouchi, a été arrêté lundi à son domicile au moment de l’iftar, le repas de rupture de jeûne du ramadan et quelques heures avant la célébration par les fidèles de la nuit du destin.
L’information a été rapportée d’abord par certains médias, avant d’être confirmée par le parti.
« Une unité sécuritaire a opéré une descente au domicile de Rached Ghannouchi, qui a été conduit vers un lieu inconnu. Ennahdha dénonce ce développement extrêmement grave et appelle à la libération immédiate de Rached Ghannouchi », a souligné le parti dans un communiqué.
Le vice-président d’Ennahdha, Mondher Lounissi, a ensuite précisé, lors d’une conférence de presse tenue dans les locaux du mouvement, que M. Ghannouchi avait été emmené dans une caserne de police pour un interrogatoire et que ses avocats n’avaient pas été autorisés à y assister.
Des zones d’ombre ont continué à entourer les motifs de cette arrestation jusqu’à ce qu’une source autorisée au ministère l’Intérieur précise dans une déclaration à l’agence Tap que l’interpellation était en en application d’un mandat du ministère public près le Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme dans le cadre d’une affaire liée à « déclarations incitatives » faites par le président du parti islamiste.
Le week-end dernier, Rached Ghannouchi avait déclaré, lors d’une réunion du Front du salut national, la principale coalition d’opposition dont Ennahdha est membre que la Tunisie serait menacée d’une « guerre civile » si l’islam politique, dont est issu son parti, y était éradiqué.
Riadh Chraïbi, membre du bureau politique et conseiller de Rached Ghannouchi, a d’autre part annoncé que les autorités ont procédé, hier, à la fermeture du siège central à Montplaisir et des bureaux d’Ennahdha dans toutes les régions.
« Une force de police s’est présentée dans le siège principal du parti (à Tunis) et ordonné à tous ceux qui s’y trouvaient d’en sortir avant de le fermer. La police a aussi fermé les autres bureaux du parti partout ailleurs dans le pays », a-t-il affirmé.
Selon M. Chaibi, trois autres responsables d’Ennahdha, Mohamed Goumani, Belgacem Hassan et Mohamed Chniba, ont également été arrêtés lundi soir.
De son côté le chef du Front de salut national, Ahmed Néjib Chebbi, a annoncé, dans la matinée l’interdiction d’une conférence de presse portant sur l’arrestation de Rached Ghannouchi.
Le ministère de l’Intérieur a en effet adressé avis aux gouverneurs et aux responsables sécuritaires dans toutes les régions ordonnant l’interdiction des réunions dans les divers locaux d’Ennahdha et des locaux du Front de salut national situés dans le Grand Tunis.
Rached Ghannouchi est poursuivi dans de nombreuses affaires en cours. Il avait comparu en février devant le pôle judiciaire antiterroriste à la suite d’une plainte l’accusant d’avoir traité les policiers de « tyrans ». L’opposant âgé de 81 ans avait également été entendu par un juge du pôle judiciaire antiterroriste pour une affaire en lien avec l’envoi présumé de djihadistes en Syrie et en Irak.
Il avait aussi été interrogé pour des soupçons de corruption et de blanchiment d’argent liés à des transferts de fonds depuis l’étranger vers une association affiliée à Ennahdha.
Selon plusieurs observateurs, le pouvoir s’oriente vers la dissolution d’Ennahdha, dont plusieurs dirigeants ont été déjà arrêtés ces derniers mois dans le cadre de l’affaire de « complot contre la sûreté intérieure de l’Etat ». Mais plusieurs experts en mouvements islamistes doutent déjà de l’efficacité d’une approche éradicatrice d’autant plus que rien n’empêche les islamistes de constituer un nouveau parti qui recrutera dans la base d’Ennahdha.
Walid KHEFIFI