Par Samia HARRAR
Les Tunisiens rêvent de partir ailleurs, bien loin d’ici, vérifier si l’herbe y est vraiment plus verte. Ils ne sont, sans doute, pas les seuls. En réalité, lorsqu’ils rêvent de quitter leur pays pour des ailleurs improbables, ils emballent rarement dans leurs valises, la somme de tous leurs doutes et regrets. Ils ne partent pas pour essayer, ils partent toujours pour réussir. Quoi ? Une multitude de choses. Dont ils tairont secrètement les noms, avec les raisons. Par pudeur ou par orgueil : cela importe peu lorsque la réalité, qui sait se faire si dure parfois, les rattrape par le revers de leur manche, pour leur signifier qu’il est temps de prendre la tangente. Et qu’il vaut mieux, pour la paix de l’esprit, qu’ils ne se posent pas trop de question, avant de changer de cieux. Mais est-ce qu’on change un ciel pour un autre ?
Nous rêvons tous de partir. Pour les bonnes, comme pour les mauvaises raisons. Et décidons, lorsque sonne l’heure, de ne pas nous retourner pour ne pas être changés en « statut de sel ».
La mélancolie est presque palpable, dans toute l’œuvre de Memmi. Et Albert Memmi, qui ne cessera jamais d’être Tunisien, parce qu’être Tunisien, n’est pas un destin interchangeable, quand bien même il s’agirait de l’occulter pour pouvoir suivre son bout de chemin, n’aura pas eu assez de toute une vie, pour le repenser à sa manière.
Comme on s’empare d’un « relais », parfois à son corps défendant, une question reste toujours en suspens, pour ceux qui s’apprêtent à partir : est-il vrai, qu’en tant que citoyen tunisien, je ne pèse pas bien lourd sur l’échelle du temps ? Et puis encore : qu’est-ce que je vaux, en tant que citoyen tunisien, face à un citoyen canadien, pour l’exemple, qui serait en déperdition ou en danger, quelque part sur cette terre, lorsque le citoyen canadien sait, parce que c’est estampillé sur son passeport, et d’une bien belle façon, qu’il ne sera jamais abandonné à lui-même, et qu’il a un pays derrière lui qui bougera pour le sauver ? C’est là qu’un « drapeau » prend tout son sens. Et c’est là, accroché à un passeport, comme le serait un naufragé à sa « bouée », qu’un citoyen tunisien sait, et en prend la pleine mesure, que lui aussi a un pays, capable de dépêcher un avion militaire, pour aller le prendre, là où il est, et serait-ce au bout du monde, pour le ramener à la « maison ». C’est valable aujourd’hui, avec le Soudan, ça l’était il n’y a pas si longtemps, avec l’Ukraine et la Russie, lorsque la Tunisie, avec les moyens du bord dont elle pouvait se prévaloir, a montré, s’appuyant sur son Armée, et sur impulsion de son président de la République, qu’elle savait être en première ligne, pour le rapatriement de ses « enfants ». Sans leur demander, comme, cela a été le cas pour d’autres pays, de s’acquitter de leurs « billets » de retour. C’est là, lorsqu’il faut y réfléchir, en regardant les « apatrides » et leur si triste destin, qu’il est possible enfin, pour les « estropiés » de la vie, comme pour tous les autres, en tenant fermement leur « identité » en main, et en regardant leur drapeau, de comprendre ce qu’appartenir à un pays veuille bien dire…