Réunis en plénière pour examiner le projet règlement intérieur du l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) les députés ont adopté, hier, un article qui interdit le « nomadisme parlementaire », un terme qui désigne la migration d’un élu du bloc parlementaire auquel il appartient au début de la législature vers un autre.
L’article 17 du projet règlement intérieur du nouveau Parlement, qui a recueilli une majorité de voix favorables, stipule que «si un député se retire du bloc parlementaire auquel il appartenait au début de la législature, il lui est interdit de rejoindre un autre bloc».
Cette formulation est la même que celle figurant à l’article 62 de la Constitution de juillet 2022.
Empruntés au vocabulaire pastoral, le terme nomadisme désigne la migration périodique des troupeaux à la recherche d’espaces plus favorables à leur sustentation et à leur épanouissement. Transposée à la vie politique, le terme de nomadisme renvoie à l’attitude
d’un élu qui migre du parti politique ou d’un bloc parlementaire vers un autre.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène connu également sous l’appellation du « tourisme partisan ». Dans certains cas, le parlementaire nomade renie le parti sous les couleurs duquel il a été élu, soit parce que l’idéologie, les principes et le projet de société véhiculés par le parti revêtent peu d’importance pour lui, soit parce que le parti n’a pas de véritable idéologie ou de projet commun qui puisse justifier son adhésion.
Dans d’autres cas, le parlementaire nomade qui appartient à un parti fragilisé par rapport au parti au pouvoir pourra vouloir transhumer en vue de s’assurer les avantages de la majorité et ainsi joindre un parti plus stable et plus susceptible d’être appelé au gouvernement. Il arrive aussi qu’on impute à l’élu nomade des motifs moins nobles comme une course vers les privilèges en tous genres ou la recherche d’une « protection » contre des ennuis judiciaires.
Le phénomène du nomadisme parlementaire, qui pose à la fois des problèmes d’ordre éthique, moral et juridique sur lesquels les opinions divergent, était monnaie courante sous l’hémicycle du Bardo lors de la dernière décennie. Il était très perceptible entre 2011 et 2013 au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC), avec de multiples va-et-vient de et vers Tayar El Mahaba, Ettakattol, Al Joumhouri, Al Massar et le Congrès pour la République.
On se rappelle également des déclarations du fanfaron homme d’affaires Bahri Jelassi selon lesquels ce président d’une petite formation représentée à l’ANC aurait « acheté » des députés contre des mallettes d’argent liquide et des voitures rutilantes.
Le nomadisme parlementaire a ensuite connu son âge d’or entre 2014 et 2019, quand la formation présidentielle Nidaâ Tounes a vu le nombre de ses députés fondre comme neige au soleil, passant de 86 à 10 seulement en moins de cinq ans.
Un Parlement sans opposition ?
Lors de la plénière tenu hier, les députés ont également adopté à 112 voix un article relatif à la constitution des blocs parlementaires.
Cet article stipule que chaque 15 députés ou plus ont le droit de former un bloc parlementaire et qu’il n’est pas permis à un parti ou une coalition de former plus d’un bloc
La Constitution d’un bloc se fait par le biais du dépôt d’une demande auprès de la présidence de l’ARP. Cette demande doit comprendre la liste des membres, du nom de son président et le statut du bloc.
Un autre article très controversé du projet de règlement intérieur de l’ARP n’a pas été cependant adopté. Il s’agit de l’article 22 qui définit l’opposition au Parlement. Cet article qui n’a pas obtenu la majorité des voix requises stipule qu’il « est considéré comme appartenant à l’opposition tout député indépendant ou bloc parlementaire qui déclare au début de la session parlementaire son positionnement dans l’opposition en vertu d’une notification écrite adressée à la présidence de l’Assemblée ».
Il est également considéré comme appartenant à l’opposition « le député indépendant ou le bloc parlementaire qui ne vote pas à la majorité de ses membres en faveur du projet de la loi des Finances ou du plan de développement ».
Selon certains analystes, le rejet de cet article signifie que l’opposition n’aura aucune existence légale au sein de l’ARP, qui risque fort de se transformer en une chambre d’enregistrement dont le rôle se limite à valider les projets de loi et les décisions du pouvoir exécutif.
A noter que le projet de règlement intérieur de l’ARP comprend au total 171 articles répartis en 13 chapitres, qui traitent des dispositions générales, de l’appartenance à des groupes parlementaires et de l’immunité, de l’organisation du Parlement, de l’examen des initiatives législatives, de l’examen des règlements et du contrôle de l’action gouvernementale.
On y trouve également des dispositions relatives au dialogue avec les organismes et les instances, à la représentation du Parlement au sein des organismes, des conseils nationaux et les relations extérieures de l’instance parlementaire avec ses homologues à l’étranger.
Le projet comprend aussi des articles portant sur les relations du parlement avec les médias, avec les citoyens et la société civile ainsi que des dispositions relatives à la proposition de révision de la Constitution et aux mesures exceptionnelles.
Walid KHEFIFI