Inhabituellement silencieuse…Principale force syndicale dans le pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) subit depuis plusieurs mois des provocations, voire des humiliations de la part de l’exécutif sans réagir énergiquement.
Le dernier affront en date essuyé par l’organisation remonte au mois de juillet dernier quand le ministre de l’Education, Mohamed Ali Boughdiri, avait procédé au gel des salaires de 17.000 enseignants et à la révocation de plusieurs centaines de directeurs d’écoles primaires, en raison de la rétention des notes décidée par la fédération de l’enseignement de base rattachée à l’UGTT.
Le coup de force du ministre de l’Education, qui occupait jusqu’en février 2022 le poste de secrétaire général adjoint de la centrale syndicale, a été vécu comme une humiliation par l’UGTT. Pourtant, la réaction de la direction de l’organisation, qui sortait naguère ses griffes et faisait étalage de sa capacité de nuisance après des affronts beaucoup moins importants, a été plutôt molle et timorée. Elle s’est résumée à dénoncer une « tentative d’affamer les enseignants » et à afficher le soutien du Bureau exécutif national au secteur. Certains dirigeants de l’organisation se sont également contentés d’exprimer leur solidarité avec les enseignants sanctionnés sur les réseaux sociaux. Sans plus !
Oubliés les imposants rassemblements organisés depuis la révolution à la place Mohamed Ali pour dénoncer la moindre dérive du pouvoir, les discours enflammés du secrétaire général, les rodomontades et les tours de chauffe dans les rues de Tunis.
Avant le limogeage de quelque 350 directeurs d’écoles primaires et le gel des salaires de 17 000 enseignants, qui a obligé la fédération de l’enseignement de base de suspendre son mouvement de rétention des notes, l’UGTT avait subi plusieurs attaques dont l’arrestation de plusieurs de ses responsables comme le secrétaire général du syndicat de Tunisie Autoroutes, ou encore l’expulsion de l’Irlandaise Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, venue soutenir des manifestations organisées par l’UGTT en février 2023, et le refoulement d’un autre syndicaliste espagnol à l’aéroport de Tunis Carthage alors qu’il avait fait le déplacement pour participer à une manifestation à Tunis.
D’autre part, le président Kaïs Saied a rejeté ouvertement l’initiative de dialogue national lancée en partenariat avec l’Ordre des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l’homme et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).
Des soupçons de corruption ?
Plusieurs facteurs expliquent l’atonie apparente de la centrale syndicale. Il s’agit en premier lieu d’un problème de légitimité de la direction actuelle de l’organisation, dont la majorité des membres avaient fait tripatouiller les statuts de l’UGTT pour briguer un nouveau mandat auquel ils n’avaient pas droit. L’amendement de l’article 20 de ces statuts avait en effet fait sauter le verrou de limitation des mandats des membres du Bureau exécutif et permis ainsi la réélection de sept membres du Bureau sortant lors du dernier congrès de l’organisation.
La direction de l’UGTT semble par ailleurs craindre d’être touchée par la vague d’arrestation ayant déjà ciblé des opposants et des magistrats. D’autant plus que certains proches du président Kaïs Saïed évoquent des soupçons de corruption qui pèsent sur certains dirigeants de l’organisation. Tel est notamment le Ridha Belhaj cas du porte-parole du parti islamiste Hizb Ettahrir, qui a révélé en mars dernier sur les ondes de Jawhara FM que « plus de 200 dossiers de corruption impliquant des syndicalistes sont entre les mains du président ».
Les dirigeants de l’UGTT ont cependant toujours appelé à maintes reprises ceux qui détiennent des dossiers de corruption mettant en cause des syndicalistes à les transmettre sans délai à la justice.
Selon certains analystes, l’attitude timorée de l’organisation ouvrière doit aussi être analysée à l’aune de son attachement à se démarquer de l’opposition au régime, dont le fer de lance est le Front de Salut national constitué autour du mouvement islamiste Ennahdha. Bien qu’elle regroupe une mosaïque de sensibilités politiques, la gauche et la mouvance nationaliste arabe qui représentent des ennemis idéologiques traditionnels des islamistes sont très présents dans les hautes instances dirigeantes et les structures intermédiaires de l’UGTT.
Par ailleurs, la direction de l’UGTT fait face à l’apparition d’un courant syndical qui soutient le locataire de Carthage, comme en atteste la publication le 12 mars dernier par un groupe de syndicalistes d’un communiqué qui conteste le choix de l’île de Kerkennah, terre natale du fondateur de l’organisation Farhat Hached, pour la tenue de la réunion de la commission administrative nationale et les « graves errements et un aventurisme mal calculé des dirigeants actuels de la centrale syndicale » .
Walid KHEFIFI