- Mohsen Hassan : « Le club de Paris, au plus tard le 1er trimestre 2022 »
Le rapport guère rassurant de « Bank of America » sur les finances publiques en Tunisie n’est pas pour encourager les âmes les plus tenaces pour réchauffer les cœurs en cette période de froid de canard. Les experts économiques ne se lassent pas de tirer la sonnette d’alarme. Alors que les responsables peinent à faire passer les réformes indispensables afin d’extraire l’économie du goulot où elle s’est enlisée. Hélas, nous sommes arrivés à une situation de blocage sans précédent. Aux yeux des bailleurs de Fonds, le statuquo ne saurait perdurer. Visibilité politique impose. Nous nous trouvons dans une impasse et l’on s’achemine peu à peu vers le scénario libanais, sinon aller au Club de Paris.
A ce titre, l’économiste et l’ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan, a déclaré au Temps que « les résultats du rapport de « Bank of America » sont réalistes. Le rapport portant sur l’avancement du budget de l’Etat, au 30 Septembre dernier, confirme les problèmes auxquels confrontés la Tunisie et particulièrement au niveau des finances publiques. D’ici la fin de l’année, l’Etat doit mobiliser 2 milliards de dinars d’endettement intérieur et 6 milliards de dinars d’endettement extérieur pour boucler le budget 2021. Ce qui est impossible. Ce problème au niveau des finances publiques confirme que la Tunisie est exposée à un risque d’insolvabilité surtout extérieure. Donc, c’est le club de Paris ».
L’examen de la dette tunisienne aux portes du club de Paris
M.Hassan souligne que « si on n’arrive pas à trouver des solutions en urgence à très court terme, on sera obligé de solliciter l’examen de la dette extérieure de la Tunisie au club de Paris, d’ici la fin du premier trimestre 2022 au plus tard ».
Et d’expliquer : « Le Club de Paris signifie un audit approfondi de notre dette extérieure. La Tunisie sera obligée d’entamer une mise à niveau intégrale de son économie et obligée d’adopter les réformes structurelles qui concernent le volet macro-économique, sectoriel et le volet des finances publiques. Entre autres, le Club de Paris va certainement exiger une baisse des dépenses publiques, ce qui signifie une réduction de la masse salariale. Il va exiger également une compression des charges de compensation… La Tunisie sera dans l’obligation de privatiser certaines entreprises publiques à des prix dérisoires, qui ne reflètent pas les valeurs de ces entreprises. Tout ce qu’on n’a pas fait durant la dernière décennie, le Club de Paris va nous obliger à le faire ».
L’économiste fait savoir que le volet sectoriel et macroéconomique ne dérange pas énormément du moment que la Tunisie sera amenée à adopter des choix macroéconomique libéraux, qui visent à limiter le rôle de l’Etat dans l’économie. Mais, ajoute-t-il, le Club de Paris va nous obliger à engager des réformes profondes, dont le coût social sera certainement très élevé.
Le cas tunisien est très proche du cas libanais
Mohsen Hassan précise qu’il y a une forte similitude en ce moment avec le cas libanais : « Bien que certains économistes défendent l’idée que la situation économique tunisienne n’est pas pareille à l’économie libanaise, mais avec l’accentuation de la crise politique, je pense que le cas tunisien est très proche du cas libanais. La société tunisienne est divisée. C’est le résultat de la politique adoptée en ce moment. La crise au niveau des finances publiques commencent à toucher les fondamentaux et les acquis de l’économie tunisienne. Je suis pessimiste, mais je pense que la Tunisie se dirige petit à petit vers le Club d Paris. Maintenant, c’est aux politiciens qui défendent la souveraineté nationale, je les pose une question : qu’est ce que vous allez faire avec cette question de souveraineté face à la dictature qui sera imposée par le Club de Paris et par les bailleurs de fonds ? Donc, la souveraineté décisionnelle nationale sera, bel et bien érodée ».
La possibilité de sauver le pays existe encore mais …
Hassan a indiqué que malgré ce tableau noir, il y a encore une possibilité de sauver le pays. Mais, il faut agir très rapidement. Et d’ajouter : « C’est une question de semaines, et pas de mois. En premier lieu, la solution doit être politique. Le blocage aujourd’hui, que connaît l’économie tunisienne, est dû à l’absence de financement extérieur. Ceci est lié à la crise politique. Le Président de la République est appelé à intervenir rapidement pour clarifier et donner plus de visibilité au niveau politique ; un agenda clair quant aux élections législatives doit être annoncé. C’est indispensable ».
Opération de sauvetage politique
L’économiste affirme qu’il n’y a aucun avancement au niveau des négociations avec le FMI et même au niveau bilatéral faute de visibilité politique.
« Il faut entamer rapidement un débat économique. Les Tunisiens peuvent sauver et sauvegarder la souveraineté du pays, si on trouve et on entame ces mesures sur les plans politique et économique. Ce sera un message pour nos partenaires et pour les institutions financières internationales. Personne ne veut ramener la Tunisie vers le Club de Paris, personne ne veut la lâcher mais, c’est à nous d’agir et d’être réactif. Il faut oublier notre égoïsme politique ou autre. La priorité des priorités, c’est de sauver le pays au niveau des finances publiques et tout doit être transité par une opération de sauvetage politique. Ça ne pourra se faire qu’à travers un dialogue qui reflète le courage des opérateurs politiques dans le pays », a-t-il relevé.
Audit de la dette extérieure
L’objectif d’aller au Club de Paris, c’est le rééchelonnement de la dette. Dans ces conditions, souligne M. Hassan, il faut bien se préparer et entamer opération d’audit de la dette extérieure tunisienne.
Et d’expliquer encore : « Il faut être prêt au niveau du ministère des Finances et pourquoi pas solliciter l’aide et l’assistance des sociétés spécialisées dans la gestion de la dette publique afin de bien préparer le dossier. La négociation de la dette est très délicate. Ça peut réussir comme ça peut échouer. Donc, ça doit être bien préparé pour demander le report, le transfert de certains crédits à des projets d’investissement pour abandonner une partie de la dette. C’est très technique. Je pense que le ministère des Finances a les compétences nécessaires pour faire ce travail ».
Khouloud AMRAOUI