Deuxième journée des Journées théâtrales de Carthage. Dehors, les pluies qui s’abattent sur les rues de Tunis n’ont pas dissuadé le public amateur de théâtre de se rendre en grand nombre à la représentation théâtrale de ‘’La conférence des oiseaux’’ qui affiche complet. Dans cette pièce de théâtre qui a beaucoup fait parler d’elle, Naoufel Azara a réussi le pari de transformer des poèmes de l’époque médiévale en langage scénique. D’autant plus qu’il s’agit des vers composés par un mystique, Farid Eddine El Attar et dont l’œuvre est restée jusqu’à nos jours comme un classique de la littérature illustrant la spiritualité islamique à son meilleur.
« La conférence des oiseaux », une représentation immersive et troublante dans les méandres de l’âme humaine, là où l’obscurité fait progressivement place à la lumière lorsqu’elle fait part des émois d’une âme qui se libère à travers les gestes et les mots en retrouvant la lumière divine …
Une quête de soi
« La conférence des oiseaux » est un appel à profiter des rares moments de bonheur dans cette quête éperdue de soi en transformant en langage scénique un condensé de l’expérience poétique d’un mystique de l’époque médiévale, Farid Eddine Al Attar. C’est aussi une invitation aux corps déliés des artistes sur scène, à alterner un langage corporel et sensuel à la fois énergique et vivant en se jouant de la beauté de la poésie qui enchante et envoûte, … en donnant à vivre un théâtre du poème et de la hantise des mots qui se libèrent, dansent et boivent jusqu’à la lie de la coupe de l’amour divin.
Ici on nous prend par la main et nous montre le chemin pour entamer notre voyage intérieur, en s’enivrant de la beauté des images poétiques et scéniques aussi bien puissantes qu’hallucinantes …
Lorsque la vie pèse sur nous, le voyage initiatique des oiseaux nous emmène dans un autre monde transparent, que la passion avilissante de l’âme humaine peine à rejoindre, un monde fait de la magie des lumières divines. La difficulté toute la difficulté était de faire d’une poésie du 12ème siècle un langage scénique. Naoufel Azara s’en est sorti avec brio. Les poèmes parlent d’une nuée d’oiseaux qui transmettent des messages de sagesse dans leur voyage initiatique qu’ils ont mené pour rencontrer un être majestueux, le ‘’Simorgh’’… On en tire plusieurs enseignements pour retrouver le chemin de la divinité , celui de l’Amour et de sa voix intérieure.
Sur scène, une atmosphère irréelle, hors du temps s’installe. Les intermèdes musicaux alternent le langage des mots avec finesse. Chaque mot résonne à l’infini, chaque cri éclate comme une malédiction contre les forces maléfiques qui s’en prennent du corps humain qui veut se libérer du joug de la vie d’ici-bas.
On dit qu’un texte contient sa propre théâtralité, que dire alors d’un poème en prose d’une époque révolue et qui fait tout le texte d’une pièce de théâtre qui subjugue par la beauté de son côté lyrique , empathique , bien ficelé , agencé à souhait pour suivre une intrigue et pleins de rebondissements qui donnent plaisir à voir et à entendre !
Un classique de la littérature islamique
« Le cantique des oiseaux » ou encore pour certaines traductions plus littérales, « La conférence des oiseaux » (Mantiq Attayr ) , est un long poème mystique de 4726 vers écrits illustrant la spiritualité islamique.
Al Attar a réussi à créer un procédé littéraire où les histoires sont imbriquées les unes dans les autres. On y renoue aussi avec l’imaginaire des contes merveilleux, la mythologie. Sans oublier les références religieuses naturellement omniprésentes. On y rencontre la huppe, personnage protagoniste appelé à guider les autres oiseaux lesquels « vont devoir traverser les sept vallées, placées chacune sous un sceau, celui du Désir, de l’Amour, de la Connaissance, de la Plénitude, de l’Unicité pure, de la Perplexité et pour finir celui du Dénuement et de l’Anéantissement. Pour parvenir à leur but, chacun va devoir se libérer de toutes ses attaches terrestres et s’oublier lui-même afin d’élever son âme et d’accéder au royaume céleste. Mais le doute et la peur ne cessent de réapparaître au cours de leur long voyage et c’est à travers des fables et des paraboles que la huppe parvient peu à peu à purifier le coeur des plus téméraires, jusqu’à leur permettre d’atteindre l’extase suprême… »
Mona BEN GAMRA