Le 25ème congrès de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui se tiendra du 16 au 18 février à Sfax, s’annonce dépourvu d’enjeux majeurs sur le plan électoral. Adopté lors du congrès extraordinaire non électif de la centrale syndicale, qui s’est tenu les 8 et 9 juillet 2021 à Sousse, l’amendement de l’article 20 des statuts de l’organisation ouvrière a verrouillé le jeu électoral. Cet amendement a supprimé la limitation de l’exercice de la responsabilité au Bureau exécutif national à deux mandats. Ainsi, huit membres du Bureau exécutif sortant qui ont déjà accompli deux mandats vont certainement briguer un troisième mandat.
Il s’agit de l’actuel secrétaire général Noureddine Taboubi et des membres du Bureau exécutif, Sami Tahri, Abdelkarim Jrad, Samir Cheffi, Mohamed Msalmi, Anouer Ben Gaddour, Hfaïedh Hfaïedh et Kamel Saâd.
Sauf surprise de dernière minutes, ces membres devraient être reconduits. D’autant plus qu’ils maîtrisent parfaitement « l’appareil » de l’organisation via le très stratégique département du règlement intérieur. En effet, les congressistes qui participeront au vote seront quasiment les mêmes qui avaient adopté en juillet dernier l’amendement du très controversée article 20 à une écrasante majorité de 497 voix favorables, 17 oppositions et 3 abstentions.
Forte résistance
Introduit dans les statuts lors du congrès extraordinaire de la centrale syndicale lors du congrès extraordinaire tenu à Djerba en 2002 sous la pression des tenants d’une aile radicale alors opposée à l’inféodation de l’organisation au régime de Ben Ali, l’article 20 visait à garantir l’alternance à la tête de la centrale syndicale après de longues années de de « verrouillage » de l’organisation par l’ancien secrétaire général Ismaïl Sahbani.
L’ancienne direction de l’UGTT élue au congrès de Djerba (2002) a tenté sans succès d’amender cet article limitant les mandats des membres de Bureau exécutif lors du congrès de Monastir tenu en décembre 2006. L’amendement de cet article très a été également rejeté lors du 23è congrès de l’organisation tenu à Tabarka en janvier 2017.
L’actuel secrétaire général de l’organisation et ses « camarades » ont donc réussi là où leurs prédécesseurs avaient échoué. Mais la suppression de la limitation des mandats rencontre une forte résistance de la part de plusieurs dirigeants de structures sectorielles et régionales de l’organisation (fédérations, syndicats généraux, unions régionales et locales etc…).
Cette « opposition syndicale » attachée au respect des principes démocratiques et de l’alternance au niveau des hautes instances dirigeantes a saisi la justice pour contester l’amendement de l’article 20. Et elle a obtenu gain de cause : le tribunal de première instance de Tunis avait déclaré, le 25 novembre 2021, nulle et non avenue la décision du conseil national de l’UGTT, tenu les 24, 25 et 26 août 2020 de convoquer un congrès extraordinaire non électif. Conséquence : le congrès extraordinaire non électif de la centrale syndicale, qui s’est tenu les 8 et 9 juillet à Sousse, est déclaré de facto caduc.
Risque d’ingérence
Le jugement prononcé par le tribunal de première instance de Tunis met dans l’embarras le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, et écorne sérieusement l’image de l’organisation qui se targue régulièrement d’être le porte-flambeau des valeurs démocratiques et un rempart contre les tentations hégémoniques. Cela transparaît d’ailleurs dans les déclarations laconiques et embarrassées des dirigeants faites par les dirigeants de l’organisation après l’annonce du jugement.
« L’organisation respecte les décisions de la justice. Ses structures vont se réunir pour déterminer les choix adéquats », a vaguement déclaré Noureddine Taboubi.
De son côté, le secrétaire général adjoint de l’organisation chargé des affaires juridiques, Hfaïedh Hfaïedh, est resté très évasif : « Le jugement émis est de première instance et pourrait faire l’objet d’un recours en appel, ce qui fait qu’il soit sans effet sur les décisions des structures de l’UGTT qui restent applicables, exactes et légitimes », a-t-il indiqué.
Les défenseurs de l’alternance n’ont pas cependant baissé pavillon. Mercredi, ils ont annoncé le lancement d’une initiative appelant à « renoncer à l’organisation le 25ème congrès et à ouvrir un véritable dialogue entre les syndicalistes en faveur d’une réflexion commune en vue de préserver l’indépendance de l’organisation ouvrière et garantir la démocratie au niveau de sa gestion ». Ces syndicalistes parmi lesquels figurent un membre du Bureau exécutif sortant, Mohamed Ali Boughdiri, et le secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire Lassâad Yâccoubi, ont estimé que « le fait de renoncer à la tenue du congrès et d’annuler le dernier amendement des statuts de l’UGTT permettront à la centrale syndicale de préserver sa crédibilité et d’empêcher toute tentative d’ingérence du pouvoir dans les affaires internes de l’union ».
Tenant la direction sortante pour responsable du « non-respect des bases les plus élémentaires du jeu démocratique », ils ont aussi fait remarquer que l’existence d’un jugement invalidant les résultats du congrès extraordinaire non électif pourrait exposer l’organisation, qui occupe une place singulière dans la société tunisienne et mêle vocation politique et activités syndicales, à un grand risque de « chantage » de la part du pouvoir.
Walid KHEFIFI