La crise interne qui secoue l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) n’est pas près de connaître son épilogue. Les membres dissidents favorables à la tenue d’un congrès extraordinaire pour mettre fin à la « crise de légitimité » dont souffre la direction actuelle continuent à accentuer la pression sur l’aile conduite par l’actuel secrétaire général, Noureddine Taboubi, qui plaide pour le maintien du statu quo jusqu’au prochain congrès ordinaire prévu en 2027.
Après avoir tenu une conférence de presse au cours de laquelle elle a appelé le secrétaire général de l’organisation à démissionner, l’aile dissidente conduite par cinq membres du Bureau exécutif national (Anouar Ben Gaddour, Slaheddine Selmi, Taher Berbari, Monêm Amira et Othmen Jallouli) s’apprête à passer à un palier supérieur.
Plus de 300 membres du Conseil national, soit la majorité des membres de cette plus haute instance décisionnelle après le congrès, se préparent à entamer un sit-in pour réclamer la tenue d’un congrès extraordinaire dans les plus brefs délais, selon des sources syndicales proches de la faction dissidente.
Ces mêmes sources ont précisé que l’Union régionale du travail de Sfax menace de rompre ses liens avec le Bureau exécutif si le secrétaire général de la centrale syndicale ne présente pas des excuses aux dirigeants de cette puissante antenne régionale de l’organisation, qu’il avait qualifiés de « mafieux » dans une communication téléphonique fuitée.
Ces nouveaux rebondissements interviennent alors que les tractations engagées entre les deux ailes qui traversent l’UGTT sont au point mort. Une première réunion tenue début janvier entre les deux camps suite à une médiation menée par l’ex-secrétaire général Houcine Abassi, avait pourtant abouti à un rapprochement des points de vue.
Regroupant dix membres du Bureau exécutif national, l’aile conduite par l’actuel secrétaire général avait alors accepté le principe de la tenue d’un congrès extraordinaire. Elle a cependant rejeté la suggestion relative à la tenue d’un congrès extraordinaire en juin 2025 de l’aile dissidente conduite par cinq membres du Bureau exécutif national (Anouar Ben Gaddour, Slaheddine Selmi, Taher Berbari, Monêm Amira et Othmen Jallouli), tout en proposant la date de janvier 2026. Cela a contribué à apaiser les tensions au sein de la centrale syndicale, et poussé l’aile dissidente à reporter à une date ultérieure un sit-in ouvert qui était prévu pour le mercredi 8 janvier.
La crise interne qui secoue l’UGTT a atteint son paroxysme lors d’une réunion houleuse du conseil national qui s’est tenue à Monastir début septembre dernier. L’écrasante majorité des membres du conseil national avait alors reconnu l’existence d’une grave crise interne consécutive à l’amendement de l’article 20 des statuts de l’UGTT lors d’un congrès non électif tenu en juillet 2021.
Une organisation affaiblie et marginalisée
Cet amendement a annulé la limitation du nombre de mandats consécutifs au Bureau exécutif à deux seulement, ouvrant ainsi la porte à la reconduction de plusieurs dirigeants, dont Noureddine Taboubi, Sami Tahri et Samir Cheffi, pour un troisième mandat consécutif lors d’un congrès électif qui s’est tenu en février 2022.
Les membres du conseil national ont également estimé que cette « entorse aux principes de la démocratie et de l’alternance » a abouti à un affaiblissement sans précédent de l’organisation, sous l’effet d’un manque de légitimité de ses plus hautes instances dirigeantes comme en atteste sa « marginalisation » par le pouvoir et l’Union tunisienne de l’industrie du commerce et de l’artisanat (UTICA, patronat).
De son côté, le secrétaire général de l’UGTT a demandé publiquement des excuses pour le tripatouillage des statuts de l’organisation en juillet 2021, sans accepter le recours à un vote de la motion interne, dont le 12e point prévoyait la tenue d’un congrès extraordinaire en 2025. Ce refus s’est soldé par le retrait de près de deux-tiers des membres du conseil national de la salle où se tenait la réunion.
Alors que les divergences entre les deux ailes du Bureau exécutif national semblent avoir atteint un point de non-retour, de nombreux syndicalistes estiment que la tenue d’un congrès extraordinaire en 2025 ne permettrait pas à l’organisation de retrouver sa crédibilité perdue et sa capacité de mobilisation d’antan, d’autant plus que ce congrès consacrerait « un recyclage d’éléments putschistes ». Il s’agit des militants qui s’étaient opposés dès juillet 2021 à l’amendement de l’article 20, et dont la plupart ont été exclus d’une façon ou d’une autre des responsabilités syndicales.
Réunie au sein d’une structure informelle baptisée « le Forum syndical pour l’ancrage de la pratique démocratique et le respect des statuts de l’organisation », cette « opposition syndicale » compte plusieurs anciens cadres intermédiaires très combatifs comme Taïeb Bouaïcha, Habib Jerjir et Monia Ben Nasr Ayadi. Elle propose de « faire table rase de l’ère Taboubi », à travers la mise en place d’un comité de direction provisoire qui veillerait sur le renouvellement des diverses structures sectorielles et régionales, ainsi que sur « l’assainissement » de l’organisation des éléments sur lesquels pèsent des soupçons de corruption, avant la tenue d’un « congrès de rectification » sur des bases plus saines et plus solides.
Walid KHEFIFI