Les relations se réchauffent entre le président de la République et l’Union Générale Tunisienne du travail (UGTT). Le locataire de Carthage s’est entretenu par téléphone avec le secrétaire général de la centrale syndicale, Noureddine Taboubi, le 9 mars, a annoncé l’UGTT dans communiqué laconique, indiquant que l’entretien sur « la situation générale dans le pays et ses répercussions sur le pouvoir d’achat des citoyens ».
Une rencontre se tiendra « prochainement » entre le chef de l’Etat et les membres du Bureau exécutif de l’organisation, a-t-on ajouté de même source. Cette rencontre, dont la date n’a pas été encore fixée, ne saurait tarder alors que la crise économique s’exacerbe. Alors que le sort des finances publiques demeure suspendu à un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) sur une nouvelle ligne de crédit pour éloigner le spectre d’un défaut de paiement, l’invasion russe de l’Ukraine est arrivée comme un cheveu dans la soupe pour en rajouter une couche. La flambée des cours des hydrocarbures et des produits agricoles qui s’en est suivie a provoqué une pénurie sans précédent et un renchérissement des prix des produits de première nécessité. Dans ce contexte, l’UGTT et la présidence paraissent condamnés à s’entendre.
Ce n’est pas d’ailleurs un pur hasard du calendrier que le secrétaire général de l’UGTT rencontré, hier, à son bureau, le nouveau représentant résident du FMI en Tunisie, Marc Gérard.
Selon un communiqué de la centrale syndicale, la rencontre a porté sur « la situation sociale et économique, sur le double plan national et international ».
Le secrétaire général adjoint et porte-parole de l’UGTT, Sami Tahri, a exigé jeudi dernier l’implication de l’organisation ouvrières dans les négociations avec l’institution financière multilatérale. « La centrale syndicale devra obligatoirement participer aux négociations avec le Fonds monétaire international. Nous avons déjà adressé cette requête au gouvernement et insisté sur le fait que l’UGTT doit jouer un rôle national, économique et sociale » a-t-il dit.
En contrepartie d’un programme de financement de plusieurs milliards de dollars, qui permettrait aussi à la Tunisie de lever des fonds sur les marchés financiers internationaux à des taux non prohibitifs, le FMI exige la mise en œuvre de réformes douloureuses portant notamment sur la levée des subventions des produits de base, la réduction de la masse salariale dans le secteur public et la cession des entreprises publiques.
Mais l’UGTT ne désespère pas, une fois associée aux négociations, de convaincre les dirigeants du FMI de la nécessité de rendre ces réformes moins douloureuses pour les salariés et les couches les plus vulnérables de la société.
Apaisement du climat politique
L’organisation souhaite par ailleurs saisir l’occasion de ce rapprochement avec la présidence pour peser sur le cours des réformes politiques en cours. D’autant plus que faible taux de participation à la consultation nationale électronique, qui sonne comme un désaveu populaire du programme de réformes politiques porté par le président, constitue une occasion inespérée pour faire pression sur le locataire de Carthage. L’UGTT appelle depuis plusieurs mois le chef de l’Etat à revoir sa copie et à engager un dialogue national regroupant les principaux acteurs politiques pour apaiser le climat politique et définir une feuille de route claire.
Mais on n’est pas encore là, la Tunisie doit impérativement opérer des réformes douloureuses portant notamment sur la masse salariale, les entreprises publiques et le régime de compensation. Or, jusqu’à présent, les négociations entre les deux parties sont au point mort, même si les autorités tunisiennes conservent un discours rassurant.
Lors de la commémoration du 23ème anniversaire du décès du leader syndical Habib Achour, lundi à Kerkennah, le secrétaire général de l’UGTT a d’ailleurs rappelé que la consultation nationale ne peut pas remplacer un véritable dialogue national. « C’est bien de faire associer les jeunes et de faire usage des nouvelles technologies mais une consultation électronique ne peut en aucun cas remplacer le dialogue national surtout qu’elle a montré ses limites dans le sens d’un afflux faible. D’où la nécessité d’organiser un dialogue réel direct et concret », a-t-il souligné. Et de mettre en garde : « Mais lors de ce dialogue national, il n’est pas question qu’une partie impose sa vision des choses ou sa conception ». Traduire : centrale syndicale refuse catégoriquement le projet de démocratie directe porté par Kaïs Saied et basé sur un système d’élection remontant de la base au sommet à un référendum populaire. Et c’est justement là que les chemins de Kaïs Saïed et Noureddine Taboubi se séparent…
Reste que le chef de l’Etat, qui se trouve plus que jamais isolé sur tant sur le plan intérieur qu’extérieur, pourrait revoir sa copie pour soustraire la puissante centrale syndicale à l’influence de l’opposition et obtenir son appui au programme de réformes économiques que le gouvernement a déjà présenté au FMI pour obtenir un programme d’aide hautement vital à la fois pour l’économie tunisienne et le pouvoir en place.
Walid KHEFIFI