Par Ridha Bergaoui
La pandémie covid-19 et la guerre en Ukraine ont enflammé les marchés de l’énergie (pétrole et gaz), des matières premières et des produits alimentaires. La Tunisie importe de nombreux produits dont les huiles végétales.
Dans le commerce, les prix des huiles des graines ont atteint des niveaux élevés, sans précédent. Le pire c’est que la crise alimentaire risque de durer de nombreuses années encore même si la guerre s’arrête immédiatement. C’est qu’il faut de nombreuses années pour que les marchés mondiaux retrouvent leur équilibre et leur stabilité.
Les huiles végétales sont indispensables en cuisine, pour la préparation des repas, les fritures ou faire des sauces pour assaisonner les salades. Elles sont utilisées également pour faire des pâtisseries, biscuits et gâteaux.
Les huiles sont utilisées massivement dans les industries agroalimentaires (pour la fabrication de biscuits, margarine, pâte à tartiner, plats préparés, chips…), dans la confection des produits de beauté et autres cosmétiques et la fabrication des bougies.
Les huiles donnent du gout aux aliments. Sur le plan nutritionnel, les huiles représentent un apport important en énergie surtout que leur valeur énergétique est le double de celle des autres nutriments (glucides et protides). Elles apportent également des vitamines liposolubles indispensables (ADEK). Les huiles végétales sont dépourvues de cholestérol qui ne se trouve que dans les graisses animales.
Les huiles végétales peuvent également être utilisées pour la fabrication de biodiesel. Il a été constaté une corrélation entre le prix du pétrole et celui des huiles végétales. Lorsque le prix du pétrole augmente, on observe une forte demande en huiles végétales pour les transformer en biodiésel ce qui entraine une augmentation des prix des huiles.
La consommation moyenne en Tunisie est estimée 25,7 kg d’huile/habitant/an dont 7,4 kg d’huile d’olive (INS, enquête de consommation 2015) soit une consommation moyenne de 70 g/habitant/jour. Cet apport couvre près de 30% des besoins énergétiques d’un citoyen moyen.
Notre consommation annuelle totale d’huiles végétales est d’environ 300 000 tonnes. La Tunisie importe en moyenne 250 000 tonnes d’huiles végétales essentiellement du soja, maïs, tournesol et palme.
L’huile d’olive destinée en priorité à l’exportation
La Tunisie est traditionnellement un gros producteur d’huile d’olive. Toutefois, depuis 1962, nos décideurs ont opté pour l’exportation de l’huile d’olive, dont le prix au niveau mondial était élevé, pour importer de l’huile de soja, beaucoup moins chère. Les recettes en devises provenant de l’exportation de l’huile d’olive, permettraient d’équilibrer la balance commerciale alimentaire et de couvrir nos importations de céréales et d’huiles végétales.
Quoique cette politique ait permis de créer toute une industrie de raffinage et de conditionnement avec de nombreux emplois ainsi qu’un solde positif en devises, elle est de nos jours mise en cause pour de nombreuses raisons. D’une part, elle prive le citoyen d’une huile de valeur nutritive et de qualités diététiques reconnues et d’autre part, la flambée des prix des huiles végétales fait que l’écart des prix entre l’huile d’olive et le reste des huiles végétale s’est beaucoup réduit surtout que la plus grande partie de notre huile d’olive est exportée en vrac.
Huile de soja subventionnée peu disponible
Pour couvrir notre besoin en huiles, l’Office de l’Huile importe l’huile de soja brute. Il la confie à des usines de raffinage, puis aux usines qui le conditionnent dans des bouteilles en verre récupérables. L’OH, le vend par la suite aux grossistes qui le revendent aux commerçants de détail. Durant toute la chaine, l’OH contrôle aussi bien les prix que les quantités.
Une partie de l’huile de soja est produite sur place, à partir des graines de soja importées, grâce à une usine de trituration installée dans la région de Zaghouan. Cette usine produit également le tourteau de soja très demandé par les usines d’aliment concentré du bétail pour sa teneur élevée en protéines et acides aminés essentiels.
Afin d’encourager les citoyens à utiliser l’huile de soja et aider les ménages à s’approvisionner en huile, l’Etat a dû subventionner l’huile de soja importée et la commercialiser à un prix très bas. Avec la flambée des prix des huiles végétales, le montant, réservé par la Caisse Générale de Compensation à la subvention des huiles, ne cesse de s’amplifier et l’huile de soja subventionnée
Le prix de l’huile de soja subventionnée étant très bas (0,900 TND/litre), elle se trouve de plus en plus détournée pour d’autres usages que celui de l’utilisation ménagère et fait l’objet de contrebande, de vente en noir et de spéculations de tout ordre. Malgré les contrôles et les restrictions, elle est fréquemment détournée et utilisée par les artisans de la restauration, les pâtisseries, les fabricants de beignets et autres professions qui l’achètent plus cher de chez les trafiquants mais beaucoup moins cher que les huiles non subventionnées.
Des perturbations au niveau du commerce maritime international et des retards de livraison, entrainent souvent des ruptures dans l’approvisionnement de la filière et un manque au niveau des petits commerçants de quartier. Le consommateur est ainsi obligé de s’approvisionner par les autres huiles végétales non subventionnées dont le prix ne cesse de grimper.
Cette situation est à l’origine de nombreuses plaintes de la part du consommateur et appelle d’une façon urgente à revoir le système de compensation afin d’éviter le détournement des produits subventionnés et de n’en faire profiter qui les familles nécessiteuses.
Développement de la production et de la consommation de l’huile d’olive
Depuis quelques années, des voix s’élèvent pour demander la révision de la stratégie, jusqu’ici adoptée, en matière d’utilisation de l’huile d’olive. Les consommateurs réclament, de plus en plus, le droit de consommer un produit local devenu peu accessible et destiné en premier à l’exportation. Au lieu de subventionner l’huile de soja, détournée à d’autres fins que la consommation des ménages appauvris et introuvable, il serait préférable de subventionner l’huile d’olive locale dont les qualités diététiques et nutritionnelles sont connues.
Il est vrai que le secteur oléicole pose de nombreux problèmes comme le vieillissement de l’oliveraie, la faible productivité, la cueillette traditionnelle qui pose un épineux problème de main d’œuvre ainsi que des difficultés techniques diverses. Le changement climatique et la sécheresse représentent une réelle menace pour notre foret d’oliviers surtout dans le Centre et le Sud. Il est important de disposer d’une stratégie pour préserver notre patrimoine et promouvoir la culture de l’olivier et la production d’huile d’olive qui font intimement partie de notre culture et nos traditions.
Par ailleurs, les grignons d’olive, obtenus après extraction par pression de l’huile d’olive vierge, contiennent encore de 5 à 8 % d’huile qu’il est possible d’extraire par solvant et raffinage selon les mêmes procédés que celles utilisées pour l’obtention des autres huiles des graines. C’est l’huile des grignons ou huile d’olive pomace, dont le prix est beaucoup moins élevé que celui de l’huile d’olive vierge. Cette huile, qui doit répondre aux normes internationales, ne présente aucun problème et peut être utilisée comme huile de cuisine, de friture…
De grandes quantités d’huile pomace peuvent être récupérées et vendues à des prix abordables. De grosses quantités de grignons bruts sont actuellement mal valorisées et sont utilisées soit comme combustible, pour faire du compost ou données aux animaux.
Extension de la culture du colza
En Tunisie, la seule graine oléagineuse était le tournesol. Toutefois, les graines sont particulièrement appréciées et utilisées comme produits de bouche, des « glibettes ».
Depuis 2014, soutenu par le Ministère de l’Agriculture et des opérateurs aussi bien étatiques que privés, le colza a fait son entrée à grande échelle. De nos jours, une filière est en place et fonctionne parfaitement. La culture du colza, à coté de ses nombreux avantages comme précédent cultural pour le blé, plante mellifère et son effet bénéfique sur la structure du sol, permet de produire d’une part une huile de bonne qualité (riche en acides gras polyinsaturés) et un tourteau très riche en protéines et très apprécié pour l’alimentation animale.
Durant l’année 2021-22, 16 000 ha ont été cultivés et récoltés. Les professionnels ambitionnent la culture de 20 000 ha pour l’année prochaine et plus tard 150 000 ha ce qui permettrait de produire 96 000 tonnes d’huile de colza et 144 000 tonnes de tourteau (soit près de 50% et 25% respectivement de nos besoins en huiles végétales et tourteaux).
Réduction du gaspillage d’huile
Les fritures, aussi bien au niveau familial qu’au niveau de la restauration, sont à l’origine d’une consommation importante d’huiles végétales. Il est possible de réduire cette consommation ainsi que le gaspillage d’huile qui l’accompagne en observant quelques recommandations faciles :
- Il est possible de réutiliser l’huile de friture plusieurs fois de suite à condition d’une part de laisser refroidir et de filtrer l’huile avant de la conserver. Il ne faut pas mélanger les huiles utilisées pour les différents fritures (viande, poisson…) afin de ne pas altérer les gouts des produits frits.
- Ne pas surchauffer les huiles de friture qui peut entrainer la formation de composés toxiques.
- Il est possible d’éviter les fritures et de passer à la préparation des frites au four. Cette solution, conseillée par les nutritionnistes, permet d’obtenir des frites peu grasses, saines, appétissantes et croquantes.
- De nombreuses recettes existent et permettent de se passer d’huile pour confectionner des gâteaux et même de la margarine.
Recyclage des huiles usagées
Les huiles de friture sont de véritables polluants des eaux qui rendent les opérations d’épuration très difficiles. Il ne faut surtout pas jeter l’huile de friture dans les éviers pour ne pas les boucher. Eviter également de les déverser dans le réseau d’assainissement ou dans les poubelles.
Partout ailleurs, il est interdit de les jeter les huiles usagées dans les réseaux d’assainissement. Elles doivent être conservées et livrées à des collecteurs agréés. En Tunisie l’ANGED estime à 50 000 tonnes le potentiel des huiles de friture pouvant être collectées et recyclées dont 30 000 provenant des ménages. Actuellement la collecte, par de petites entreprises, est très limitée. Elle a été évaluée à 16 000 tonnes en 2017. Cette quantité est filtrée et exportée en vue de sa transformation, dans certains pays européens, en biodiesel. La généralisation et le développement de la collecte et le traitement sur place de ces huiles permettraient de créer de l’emploi, de récupérer des matières premières valorisables et surtout de préserver l’environnement.
L’augmentation du prix de l’énergie, des matières premières, des intrants pour l’agriculture (engrais, semences…) et des denrées alimentaires, représente un véritable défi à l’économie mondiale d’une façon générale et la nôtre d’une façon particulière. Ces difficultés risquent d’aggraver le déficit de notre balance commerciale, d’enflammer l’inflation et d’aggraver la situation d’une économie déjà en grandes difficultés.
Enfin, les huiles végétales représentent un produit indispensable et stratégique. Il serait primordial de veiller à améliorer la production locale en huiles afin de réduire le déficit de notre balance commerciale, d’améliorer notre sécurité alimentaire et de garantir au consommateur l’accès à ce produit alimentaire de première nécessité.