Au troisième jour de la campagne pour le référendum, le président Kais Saied a défendu son projet de Constitution alors que les critiques fusent contre ce texte controversé qui cristallise les craintes d’un enracinement de l’autoritarisme.
« La Constitution qui vous est proposée reflète l’esprit de la révolution et ne porte aucunement atteinte aux droits et aux libertés », s’est-il défendu dans un communiqué publié hier sur la page officielle de la présidence de la République. Et d’ajouter : « ceux qui se sont habitués aux allégations mensongères prétendent que le projet de Constitution ouvre la voie à un retour à la tyrannie. Or, ils n’ont même pas pris la peine d’examiner l’ensemble de ses articles et de ses dispositions. Ils n’ont même pas examiné le rôle de la Cour Constitutionnelle ou encore la possibilité de révoquer les élus. Ce qu’ils véhiculent est très loin de la réalité ».
Le président a également souligné qu’il «il n’y a nulle crainte pour les libertés et les droits, si les textes de loi les placent sous contrôle populaire, que ce soit au sein du premier ou du deuxième conseil (Parlement) », en plus du « contrôle de la constitutionnalité des lois par une Cour constitutionnelle, qui assure la suprématie de la Constitution, loin de toutes les tentatives de détournement fondées sur l’appartenance partisane ».
Il a, d’autre part, critiqué les pourfendeurs du projet de Constitution estimant que le texte instaure un « déséquilibre entre les fonctions » (les pouvoirs). « Ils ne prennent pas la peine d’examiner le droit comparé et l’histoire. Ne savent-ils pas que le déséquilibre entre les pouvoirs provient non pas des textes, mais de la main mise d’un seul parti ou d’une seule coalition sur les diverses institutions de l’Etat ? », s’est-il interrogé.
« L’histoire ne reviendra jamais en arrière »
Le président a aussi précisé que la mise en place d’un conseil des régions vise à « garantir la participation de tous les citoyens à la prise de décision », indiquant que « ceux qui ont été marginalisés chercheront à mettre en place des textes juridiques qui les sortiront du cercle de la marginalisation et de l’exclusion ».
Selon lui, « la première tâche de l’État est de réaliser l’intégration », et « cela ne sera réalisé qu’en impliquant tout le monde sur un pied d’égalité dans l’élaboration des lois ».
Le locataire de Carthage a, par ailleurs, affirmé que « l’histoire ne reviendra jamais en arrière », appelant les citoyens, ce mardi, à voter « oui », lors du référendum portant sur le nouveau projet de Constitution.
« Dites “oui” pour éviter la déchéance de l’État, pour que les objectifs de la révolution se réalisent et qu’on en finisse avec la misère, le terrorisme, la faim, l’injustice et la souffrance », a-t-il écrit.
Kaïs Saïed a fait publier, dans la soirée du jeudi 30 juin, dans le journal officiel un projet de Constitution qui marque une rupture radicale avec le système plutôt parlementaire adopté dans le sillage de la révolution de 2010-2011.
Le texte qui sera soumis à référendum le 25 juillet, une date qui coïncidera avec la fête de la
République mais aussi avec le premier anniversaire de la suspension du Parlement issu des
Élections et de 2019 et de l’instauration d’un état d’exception, est porteur d’un véritable bouleversement de l’architecture institutionnelle de l’Etat.
S’inscrivant obstinément à rebours de l’inspiration parlementaire qui avait caractérisé la transition post-révolution de 2011, le projet de Constitution confirme l’hyperprésidentialisation du régime sans véritables garde-fous, en stipulant que le « président de la République exerce le pouvoir exécutif, aidé par un gouvernement dirigé par un chef de gouvernement » que le locataire de Carthage désigné.
Le Chef de l’Etat jouira, en outre, de vastes prérogatives : il est le chef suprême des forces armées, définit la politique générale de l’État, désigne le chef du gouvernement et entérine les lois. Il peut aussi soumettre des textes législatifs au Parlement, « qui doit les examiner en priorité ». Il dispose d’un pouvoir de nomination aux hautes fonctions civiles et militaires et peut dissoudre les deux chambres du Parlement et démettre le gouvernement ou certains de ses membres de leur fonction.
Un désaveu qui donne du crédit à l’opposition
Le projet de Constitution réduit «la fonction législative » réduit à la portion congrue, même si le texte prévoit la mise en place de deux chambres : une assemblée des représentants du peuple et un conseil des régions et des districts.
Ce projet de Constitution a été désavoué par le doyen Sadok Belaïd, le président de la Commission consultative à qui le Chef de l’Etat avait confié la rédaction du texte, ainsi que par le professeur Amine Mahfoudh, un autre juriste proche de Kaïs Saîed et membre de cette même commission qui a remis son projet le 20 juin au président. Ce dernier a cependant choisi de publier dans le journal officiel une version remaniée de fond en comble.
Dans une lettre publiée dimanche par notre consœur « Assabah », Sadok Belaïd a noté que la version de Kais Saied n’avait rien à voir avec celle qu’il lui avait remise, avertissant que le projet qui sera soumis à référendum le 25 juillet pourrait « ouvrir la voie à un régime dictatorial ».
« En ma qualité de président de la Commission nationale consultative (…), je déclare avec regret, et en toute conscience de la responsabilité vis-à-vis du peuple tunisien à qui appartient la dernière décision, que la Commission est totalement innocente du texte soumis par le président au référendum », a-t-il souligné.
Le juriste a aussi fait remarquer que le projet publié par Kaïs Saïed « renferme des risques et des défaillances considérables », citant notamment un article sur le « péril imminent » qui garantit au chef de l’État « des pouvoirs très larges, dans des conditions qu’il détermine seul, ce qui pourrait ouvrir la voie à un régime dictatorial ».
Selon lui, le texte « minore le pouvoir législatif, accroît d’une façon démagogique les pouvoirs du président de la République et soumet le système judiciaire à sa volonté ».
Ce désaveu de Sadok Belaïd a donné du crédit aux accusations de l’opposition selon lesquelles le projet de Constitution consacre une dérive autoritaire en concentrant l’essentiel des pouvoirs aux mains d’un seul homme.
Walid KHEFIFI