Par Raouf KHALSI
Les citoyens sont ainsi empêtrés dans leurs magmas existentiels qu’ils n’ont guère le temps, ni la patience de prêter l’oreille à cet affrontement contre-productif entre gouvernement et centrale syndicale. Quand on publie des courbes et des statistiques tenant au déficit budgétaire et à l’interminable pourcentage de l’inflation (qui ne font que flipper), pour eux cela reste abstrait. « Les statistiques (disait Churchill) je n’y crois que si je les ai moi-même truquées. »
Il se trouve que le gouvernement a choisi le langage des chiffres, et particulièrement les chiffres dont la centrale syndicale fait son cheval de bataille.
A savoir, un budget surplombé par les emplois au sein de la fonction publique, espèce de saignée au niveau des charges, si ce n’est une récurrente surcharge pondérale. Du coup, c’est le gel des salaires, l’impossibilité de tout recrutement alors qu’il y demande pressante aux niveaux de certains secteurs vitaux : la santé publique, déjà mise à mal par l’exode des praticiens, l’enseignement supérieur aussi, parce que les doctorants sont voués à l’éternel chômage.
Au milieu de tout cela, Marouane Abbassi compte les sous, établit des rapports apocalyptiques et décrète (en catimini) le resserrement de la vis de la part des banques. Il va sans dire que, là aussi, nous pataugeons en plein surréalisme : l’Etat et la population (classe moyenne et classe inférieure) sont pauvres, alors que les banques (la plupart, et mêmes certaines banques étatiques) se sont enrichies.
Il y a deux manières d’appréhender la conjoncture socioéconomique dans le pays.
Dans un côté cour, le gouvernement se félicite d’une croissance, sans doute poussive, mais une croissance tout de même. Certains secteurs, comme le tourisme, font dans le triomphalisme coquin. C’est que le ministre compte les nuitées, presqu’à la buchette. Sauf qu’on ne regarde pas ailleurs : ce Maroc qui est en train de nous spolier de tout (phosphate y compris) et les autres destinations qui ne font pas la fine bouche. Mais, où en est-on de l’agriculture ? Trop facile de tout mettre sur le compte de Poutine. Quant à la Balance commerciale, elle marque un déséquilibre jamais enregistré depuis les lointains 1964 et 1969.
Le social supplanté par le tout politique
Que peut-on reprocher néanmoins au gouvernement Bouden ?
La Cheffe du gouvernement est une femme qui inspire le respect. C’est un fait. Sauf que comme le dit le proverbe « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ». Nous ne sommes pas dans les relents sexistes. A plusieurs reprises, nous lui avions trouvé des excuses, raffermi sn statut de Cheffe du gouvernement contre ceux qui la réduisaient au rôle peu grisant de « première des ministres », appellation prémonitoire dont on avait affublé Mohamed M’zali des temps où il était simple ministre avant d’occuper la Kasbah.
Or, la cohabitation Saied-Bouden procède d’une espèce de modus-vivendi. A la Cheffe du gouvernement les affaires courantes, au Président son projet « historique » de refaire la Tunisie. Elle, a les pieds sur terre, lui, navigue dans les stratosphères. Mais il a une prodigieuse capacité décisionnelle, promptement paraphée au JORT, désormais le seul lien entre Carthage et les citoyens. D’ailleurs, jamais JORT n’a été aussi prolixe. Dans l’esprit du Président ce qu’il fait c’est en fonction de son slogan « le peuple veut ». Il s’est donc suffi au référendum sur lequel se sont rués ceux qui l’avaient élus.
Il est quand même assez curieux de constater que Najla Bouden ne s’aventure pas dans l’empathie jaculatoire à propos du 25 juillet. Ce qui en découle, et la nouvelle vision pour la Tunisie, Ahmed Chaftar (sans être vraiment communiste) fait mieux que Trotsky dans l’exigence historique « La révolution permanente ».
L’UGTT tient à son rôle politique
L’échec des négociations sociales n’émeut pas outre mesure. D’ailleurs, personne n’y croit plus. A la veille du round de vendredi, Sami Tahri manifestait un optimisme mesuré. Il était convaincu que le projet de redressement économique du pays, projet concocté par les experts de la centrale syndicale, allait être, sinon étudié, du moins pris en considération par le gouvernement.
Le fait que le staff de Bouden ait envoyé la délégation sur les roses, tient-il réellement aux contraintes imposées par le FMI ? Sinon, aux augmentations salariales dans le secteur public ? Ou alors, aux entreprises publiques déficitaires ? Ce ne sont là que des ritournelles.
En fait, nous sommes là aussi dans un cas de figure lui aussi relevant du surréalisme.
C’est que l’UGTT est consciente de la force de frappe que lui confère le FMI quand celui-ci exige que l’équipe à Taboubi participe au dialogue national, paradoxe s’il en est, puisque ce cynique pourvoyeur de fonds est pestiféré du côté de la Place Mohamed Ali.
Mais elle est aussi consciente de sa propre faiblesse, du moins, elle vit dans la frilosité en attendant le verdict judiciaire final à propos de ce troisième mandat.
Bouden joue-telle la montre ?
En tous les cas, l’ombre ou l’esprit de Saied hante les négociations.
Remontons un peu le cours de ces derniers temps. Au « dialogue » confié à Bouderbala à Dar Dhiafa, Taboubi a compris que Saied ne tiendrait pas compte de ses propositions, ni qu’il lui accorderait la place qui sied à l’organisation de Hached. Donc, il a laissé le choix à ses collaborateurs si oui, ou non, ils participeraient. Quartier libre aussi au référendum.
Car, finalement, le projet de Saied exclut copieusement toutes les composantes de la Société civile. A ses yeux, pas de différence entre elles et les partis ayant ruiné le pays.
C’est peut-être dans cet esprit que l’UGTT ne sait plus où se positionner. Grève générale ? A l’évidence, Saied s’en foutrait. Levée des subventions et ce qui s’en suivrait ? On le voit mal « plagier » Bourguiba et ses fameuses six minutes …