La loi électorale publiée dans la soirée du jeudi dans le journal officiel de la République tunisienne (Jort) suscite des réactions mitigées auprès des organisations de la société civiles, partagées entre la bénédiction de certaines mesures visant à assurer la transparence des prochaines élections et plutôt et le refus de quelques dispositions discriminatoires ou alambiquées.
Le décret-loi présidentiel N° 55 portant révision de la loi fondamentale sur les élections et le référendum instaure nouveau mode de scrutin régissant l’élection des députés à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il substitue le scrutin majoritaire uninominal à deux tours au scrutin de liste en vigueur sous le système à dominante parlementaire (2011-2021).
Selon les experts, ce mode de scrutin n’est pas exempt de défauts. D’autant plus qu’il peut raviver les dissensions tribales, renforcer les baronnies locales et consacrer ou construire des notabilités et des groupes confisquant localement les avantages de l’exercice du pouvoir.
Cela est d’autant plus vrai que l’investiture des candidats par des partis sera remplacée par un mécanisme de « parrainage » accordé par un collectif de 400 électeurs, composé de femmes à hauteur de 50 % et de jeunes âgés de moins de 35 ans à hauteur de 25 %. Les documents attestant de ces parrainages devront être légalisés et certifiés conforme par les services municipaux. « Compte tenu de ce mécanisme de parrainage, la nouvelle loi électorale n’est pas favorable aux femmes et encore moins aux pauvres. Ces deux catégories de candidats ne pourront pas réunir les 400 parrainages exigés dans leur circonscription électorale », a déploré la présidente de l’Association tunisienne du droit constitutionnel (ATDC), Saloua Hamrouni, lors d’une table ronde organisée hier par cette organisation.
Même son de cloche chez Bassam Maâtar, président de l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (ATIDE) : « la question des parrainages pose un grand dilemme. Une telle procédure soulève des questions sur le profil des personnes pouvant réunir équitablement 400 parrainages, dont 25% émanant de personnes ayant moins de 35 ans».
Selon lui, les difficultés à réunir les parrainages « mettront de côté des profils ayant des compétences avérées et augmenteront le risque d’achat de parrainages et peut être aussi de voix, ce qui pourrait conduire in fine à un parlement en deçà des attentes ».
Le président de l’ATIDE a également a également estimé la révocabilité du mandat des élus est « une procédure en vigueur dans certains pays du monde dans les conseils municipaux et non au Parlement, où le candidat représente la nation entière et non pas uniquement ses électeurs.
Risque d’émiettement
La nouvelle prévoit en effet enfin une procédure de retrait de confiance au détriment de tout député auquel ses électeurs pourraient reprocher le non-respect de ses engagements.
« Le député de l’Assemblée des représentants du peuple, de cette manière, ne tire pas sa légitimité de la volonté de ses électeurs, mais plutôt du comité central du parti auquel il appartient, alors que son mandat législatif lui a été accordé par les électeurs et qu’il est responsable devant ceux qui l’ont élu (…) C’est pour cette raison que le retrait de confiance aux députés selon des conditions bien déterminées, a été prévu dans la nouvelle Constitution », a expliqué le locataire du Palais de Carthage lors de la présentation de la nouvelle loi électorale.
Bassam Maâtar a d’autre part estimé que le choix du mode du scrutin uninominal pourrait aboutir à un Parlement « émietté » et « fragmenté ». Au rang des points positifs, le président de l’ATIDE a notamment cité la réduction du nombre des députés de 217 à 161 ainsi que des améliorations liées à la transparence des élections et au parcours des candidats, qui devront produire leur attestation fiscale et leur bulletin numéro 3 pour prouver qu’ils n’ont pas d’empêchement d’ordre juridique. Des peines sont également prévues pour sanctionner tout candidat qui tenterait d’entraver le scrutin ou recevrait des financements étrangers, perçus comme une ingérence dans les élections.
L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a, quant à elle, dénoncé le nouveau mode de scrutin qui prévoit l’égalité pour les parrainages, mais ne le retient pas pour les candidats eux-mêmes, bien que le principe de parité soit inscrit à la Constitution.
Le décret-loi présidentiel N°55 comprend également une « mesure discriminatoire » à l’encontre des binationaux, qui sont interdits de postuler en dehors des circonscriptions de leur lieu de résidence.
Autre grief évoqué par certains observateurs : la marginalisation ainsi les partis politique, qui verront leur influence fortement réduite.
Le Président de la République s’est pourtant défendu de toute intention d’exclure les partis.
« Le système de scrutin uninominal n’exclut personne, comme le prétendent certains (…) Il est en vigueur dans de nombreux pays, aussi bien au Royaume-Uni qu’en France ainsi que dans de nombreux autres pays. Aucune personne ne sera exclue tant qu’elle répond aux conditions objectives prévues par la loi électorale », a-t-il précise.
Commentant le boycott des élections annoncé par les principaux politiques de l’opposition, dont le mouvement islamiste Ennahdha et le Parti destourien libre, Kaïs Saïed a déclaré : « Il y a ceux qui parlent de boycott. Ils sont libres de prendre part ou non au scrutin (…) Mais il n’y a aucune intention d’écarter certains partis politiques des prochaines élections ».
Walid KHEFIFI